Effort national : 20 milliards d’euros d’économies demandés à la Sécu !

14 avril 2014 Economie 2 Comments Marie MEHAULT
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soinsC’est Manuel Valls qui a annoncé la couleur lors de son discours de Politique générale mercredi 9 avril 2014 devant les députés : la France va devoir faire 50 milliards d’euros d’économies d’ici fin 2017, et sur ces 50 milliards, un peu moins de la moitié, 21 milliards d’euros, devront être gagnés sur les dépenses… de la Sécurité Sociale ! En effet, l’Assurance Maladie, sa branche la plus déficitaire (malgré de bons résultats pour l’année 2013 durant laquelle ses dépenses ont baissé), devra trouver le moyen de débourser 10 milliards de moins que prévu, et 11 milliards supplémentaires devront être trouvés dans « d’autres dépenses de la Sécurité Sociale ». Peut-on économiser une telle somme sans remettre en cause tout l’équilibre de notre système de santé ? Quelles seront les conséquences pour nous, les Français, dans notre quotidien ?

 

patientLe premier tour de vis devrait concerner les hôpitaux, où l’inquiétude est extrêmement forte. Selon certains médecins, les équipes sont déjà débordées, notamment dans les services d’urgence… impossible, à en croire les cadres de santé de faire davantage d’efforts budgétaires : « J’étais encore il y a quelques jours avec une patiente, dans les services d’urgence d’un grand hôpital parisien, elle n’a pu voir un médecin que vers 4 heures du matin ! Parce que les équipes sont débordées, elles font ce qu’elles peuvent ! C’est le personnel qui va trinquer, ces milliards d’euros de dépenses en moins vont se faire au détriment des soignants alors qu’ils sont déjà épuisés ! », s’indigne ainsi le docteur Gérald de Kierzek, médecin urgentiste et président de l’Association Hôpital Pour Tous. Autres pistes proposées : réduire le temps d’hospitalisation en renforçant la chirurgie ambulatoire, ce qui revient évidemment à fermer des lits… Autant d’hypothèses qui révoltent absolument Patrick Pelloux, président de l’Association des Médecins Urgentistes. « Quand on vit au quotidien dans le monde hospitalier, qu’on passe sa vie sur le terrain, qu’on observe déjà les dégâts engendrés par les restrictions budgétaires, les réformes qui se sont cumulées, les plans d’économies qui ont succédé à d’autres plans d’économies depuis 1974, on a vraiment l’impression qu’on sanctionne encore les familles et les malades ! »

 

medecinsUn message entendu par la Fédération Hospitalière de France, syndicat de Directeurs d’Hôpitaux… qui pense tout de même pouvoir réformer pas mal de choses pour réduire les prescriptions, en radiologies ou en laboratoires par exemple, ou développer les coopérations entre territoires afin d’économiser plus de 5 milliards d’euros. « On a trop fait dans la logique du rabot sans changer les structures», explique Frédéric Valletoux, Président de la FHF. « Aujourd’hui, si on veut véritablement faire faire de vraies économies au système de santé, il faut s’attaquer aux réformes structurelles ». Un discours repris par certains économistes de la Santé, qui estiment que ces 21 milliards d’euros, on peut les trouver : « Il va falloir creuser dur, faire un peu mal dans certains domaines, mais c’est réaliste, on peu les trouver ces milliards. Il faut savoir qu’en 2014 on a trouvé 2,4 milliards, en 2013 on a trouvé 2 milliards, et l’année d’avant encore 2 milliards. On peut trouver encore davantage mais il faudra quand même changer un peu de méthode, car ces économies qu’on fait ne sont pas éternellement renouvelables, il faudra faire preuve de créativité », analyse Claude Le Pen, professeur à l’Université Paris Dauphine et auteur de l’ouvrage « Où va le système de santé français » aux éditions Prométhée. « Les dépenses de santé ne cessent d’augmenter en France, même si on a l’impression qu’on fait des économies, en réalité cela ne cesse pas d’augmenter ! Si on ne réinjectait pas régulièrement, si on ne faisait pas des plans d’économies comme celui qui vient d’être annoncé, on serait dans les abysses ! On n’a jamais autant dépensé pour la santé, l’économie se fait simplement par rapport à une moindre croissance, mais cela ne baisse pas ! Donc il faut agir ! ».

 

santeSur le fait qu’il faut des réformes structurelles, malgré leurs antagonismes de toujours, économistes et soignants se rejoignent. Mais ils ne font évidemment pas les mêmes propositions ! « On ne parle jamais de qui paye la sécurité sociale, et tant que ce sera exclusivement le travail, et qu’il n’y aura pas l’invention de nouvelles taxations, par exemple sur les transactions financières internationales ou les bénéfices du CAC 40, on ne pourra pas y arriver », estime Patrick Pelloux. « Parce que vous avez le vieillissement de la population, parce que la science a progressé et que des techniques comme l’IRM, qui n’existaient pas avant, cela coûte cher ! ». Les soignants expriment un sentiment de ras-le-bol, dû au fait qu’ils pensent avoir réellement fourni les efforts qu’on leur demandait depuis des années, sans que cela soit reconnu. Pire : on leur en demande encore plus. « Quelles que soient les réformes dans l’organisation de la santé, d’une politique à l’autre c’est presque toujours l’hôpital qui est sur la sellette », déplore encore Patrick Pelloux.Pourtant, en France, il y a 3000 hôpitaux publics, soit 6 lits par habitants : c’est le double de la Grande-Bretagne, et les économistes de la santé préconisent tout simplement de fermer des établissements. Le seul moyen selon eux de cesser la santé au rabais : baisser sans cesse les tarifs sans fermer de lits diminue la qualité des soins, expliquent-ils, mais diminuer le nombre de lits permettrait d’augmenter le budget par patient.

 

pharmacieAu-delà du monde hospitalier, le cœur de cible de la rigueur, ce sont aussi les médicaments : les Français restent champions d’Europe de la consommation de médicaments (voir notre article précédent sur le sujet), et ce, malgré une économie réalisée de 95 millions d’euros sur les remboursements en 2013, et un écart qui s’est réduit de 29% entre l’Hexagone et la consommation de ses voisins européens. Car désormais, 82% des produits délivrés en pharmacies sont des génériques, nettement moins chers que les médicaments de marque. Un score, qui doit encore être amélioré : pour financer les économies, il faudra donc que le gouvernement français parvienne à convaincre les laboratoires de viser les 100% de taux de substitution ! Ce à quoi sont encore réfractaires de nombreux médecins, et leurs patients, très méfiants vis-à-vis des génériques.

 

medicamentsEt puis, il y a fort à parier que de moins en moins de médicaments de confort seront remboursés. Dans le collimateur par exemple, le doliprane, champion toutes catégories de la consommation des Français : ces deux dernières années, les ventes de ce paracétamol ont augmenté de 38% dans notre pays ! Enfin, la guerre va être encore plus férocement déclarée aux médecins qui prescrivent trop… Le nombre d’ordonnances délivrées en France en 2013 a encore connu une hausse, plus 1.2% l’an dernier : « Même si l’hiver 2013 a été riche en épidémies de grippe et de gastroentérite, ce qui peut expliquer une partie des hausses de prescriptions, il y a encore de réels progrès à faire de ce point de vue là », explique Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. « Bien prescrire ce n’est pas trop prescrire, c’est prescrire à bon escient. » Ceci étant dit, il y a encore 5 ans, les prescriptions augmentaient encore de 6 ou 7% par an, un réel effort a donc été fait ces dernières années… tout comme sur les hausses d’honoraires de spécialistes.

 

Enfin, deux autres postes risquent de ne pas échapper à cette régularisation : les transports de malades, en premier lieu, énorme lobby auquel l’Etat a toujours craint de s’attaquer mais qui représente chaque année des dépenses extrêmement importantes, et les arrêts de travail des salariés, où il existe encore beaucoup d’abus.

 

 

Marie MEHAULT