Médecins : la tentation de l’évasion fiscale

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Pour avoir « déconsidéré la profession » avec son compte en Suisse non déclaré, la chambredeclaration revenus disciplinaire du conseil régional de l’Ordre des Médecins d’Ile de France vient d’interdire à Jérôme Cahuzac (ancien ministre du budget également chirurgien esthétique) d’exercer la médecine pendant 6 mois, dont 3 avec sursis. La suite logique de ce que laissait présager l’interview dans le Quotidien du Médecin du président du conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), au moment de l’ « affaire » en avril 2013: « Respect de la loi anti-cadeaux, devoirs de moralité et de probité des médecins, interdiction de déconsidérer la profession : une kyrielle d’articles du code de déontologie semblent concernés par l’affaire du Dr Cahuzac », estimait alors le Dr Michel Legmann.

 

Même si Jérôme Cahuzac était, au moment du scandale, davantage homme politique que médecin, l’exemple reste malgré tout emblématique de la tentation permanente qui guette les praticiens en France : selon un sondage réalisé il y a 3 mois, un quart des Français avouent que s’ils en avaient l’occasion, ils n’hésiteraient pas à dissimuler au FISC une partie de leurs revenus afin de payer moins d’impôts. Et si l’on examine d’un peu plus près les résultats de cette étude, 38% des sondés exercent des professions indépendantes, les notaires, les avocats et les médecins en première ligne.

 

Malgré des différences d’honoraires selon les cabinets, les médecins français supportent en effet aujourd’hui des taux de charges relativement homogènes… et importants : en moyenne, entre 45 % et 52% de leurs honoraires. Plus d’un tiers des médecins libéraux étant des « cumulards », ordonnance médecin(c’est-à-dire qu’ils pratiquent aussi leur art en parallèle dans des hôpitaux ou des cliniques, soit comme salariés soit comme intérimaires), il est évident que l’URSSAF, la CSG, ou encore les caisses de retraite ne les épargnent pas… sans oublier les impôts sur le revenu. « J’ai un petit appartement en Corse, près d’Ajaccio », explique Patrick, médecin généraliste à Caen. «J’ai pu l’acheter après 20 ans d’exercice, c’est un F4, rien de scandaleux… Jusqu’à l’année dernière, je le prêtais encore à mes enfants et petits-enfants pour les vacances d’été. Cette année, si je veux pouvoir le garder, je vais devoir le louer. Voire, le louer à mes propres enfants ! Je n’ai pas le choix, je suis littéralement écrasé de charges…».

 

Pourtant, même une fois les impôts et les charges déduits, les médecins restent globalement des professionnels parmi les mieux payés, en France. Nul ne dit qu’ils ne le méritent pas, d’ailleurs : études longues, horaires difficiles, permanences, semaines à 75 heures, vie de famille souvent pénalisée… Il est légitime qu’ils soient bien rémunérés pour ces choix de vie souvent contraignants après de très longues études. En France, selon l’INSEE, un médecin déclarerait un revenu médian de 85 400 euros annuels. Pour les plus aisés, la fourchette haute se situerait à 176 400 euros par an, pour la fourchette basse, 70 700 euros annuels. Pour peu qu’ils soient mariés à un conjoint gagnant lui aussi très bien sa vie, les médecins libéraux figurent tous, quasiment sans exception, parmi les 10% de Français les plus riches. Normal, que le FISC s’intéresse à eux !

 

« Par rapport à énormément de gens, c’est très confortable », reconnaît un médecin blogueur dans l’un de ses billets. « Il n’est vraiment pas question que je me plaigne lorsque je vois nombre de mes patients qui galèrent (…) Mais lorsque je décide de prendre des vacances, je n’ai aucune rentrée et mes dépenses sont toujours les mêmes (…) J’y réfléchis donc à deux fois. Si je retire mes 3 semaines de congés, quelques absences et des fériés, mon activité directement liée au cabinet représente environ 230 heures par mois en moyenne. (…) Mon revenu horaire moyen : il est de 24 € nets.Je gagne donc très confortablement ma vie par rapport à des tas de gens, sachant que ce revenu confortable se fait surtout au prix d’un volume horaire très important et « grâce » au nombre important de gardes dans mon secteur. (…) Si l’on tient compte du niveau de qualification, des responsabilités et des contraintes (nuits, week-ends, …) je pense pouvoir raisonnablement dire que mon revenu horaire n’est pas scandaleux. Sur la base de comparaisons internationales, il est même certainement assez modeste. »

 

Les médecins, qui sont de plus en plus nombreux, en France, à se sentir « écrasés » par les charges et les impôts. Mi décembre 2013, l’Union Nationale des Professions Libérales (UNAPL) lançait même une mobilisation baptisée «les asphyxiés» : « D’Amiens à Bordeaux, partout où je me rends, je constate un ras-le-bol très fort et une franche hostilité », explique Michel Chassang, à la tête de la Confédération des Syndicats Médicaux Français. « Les libéraux s’insurgent contre la fiscalité galopante qui plombe leur trésorerie. La fusion de la CSG avec l’impôt sur le rmédecinevenu pourrait représenter jusqu’à un quadruplement de la CSG pour les libéraux, on va en prendre plein la tête ! » Les médecins libéraux refusent également la cotisation foncière des entreprises (CFE) qui a remplacé la taxe professionnelle : la loi de financement de la Sécu prévoit une hausse de 40 % de cette cotisation pour les professions libérales placées sous le régime fiscal des bénéfices non commerciaux…

 

« Moi, je comprends qu’un Français sur 4 ait des envies d’évasion fiscale. Et j’en fais partie », reconnaît un chirurgien du cœur, exerçant à Lens, sous couvert d’anonymat. « J’ai renoncé à calculer combien me prend l’Etat par rapport à ce que je gagne réellement. Parce que cela me rend malade. Je ne suis pas contre le principe des impôts, je trouve cela normal de payer des impôts. Mais là j’étouffe. On se retrouve dans un système dément où, pour réussir à s’y retrouver financièrement, les professionnels de santé travaillent toujours plus, cumulent les missions de toutes sortes… Et forcément, cela finit par se traduire par des soins de moindre qualité. D’ailleurs, pour rester dans la légalité mais ne plus être victime de ce matraquage, j’ai décidé d’aller m’installer à l’étranger. Et je ne suis pas le seul à vouloir changer de vie pour échapper au fisc.»

 

 




6 commentaires

trape le 29 nov. 2015

Je ne connais pas une profession qui serait idyllique et qui, in fine, se met à manquer de bras, autant dans le secteur médical que para-médical. ..
Bien évidemment, le niveau ridicule des honoraires est en cause mais pas que cela. Signifiant aussi, la fuite vers l’étranger de « patrons »; quand on sait le chemin de croix emprunté pour arriver à ce niveau là.
Les français peuvent continuer à se taper sur le ventre, en croyant avoir une économie médicale, au top; de sorte que la chute sera plus douloureuse, dans ce siècle. Personnellement, je n’ai pas connaissance d’une économie médicale étatisée, qui est porteuse d’une médecine de pointe.
A l’origine, en 1974, le Président du Conseil de l’Ordre (Pr.Lortat Jacob) ne voulait pas de ce conventionnement; probablement avec la vision prémonitoire de ce qui s’est passé depuis 40 ans et qui va s’accentuer, par démagogie politique et par une grande faiblesse (au minimum de la qualification) des représentants médicaux (CO, syndicats) .
Quant à l’évasion fiscale, elle n’a rien de spécifique à une profession, elle n’est que la conséquence du poids fiscal dans la société française; et de la destruction lente de la classe moyenne, à laquelle appartient la grande majorité des acteurs médicaux. Un CO qui motive une excommunication d’un médecin, pour une telle raison, dépasse largement , son champs d’action (qui est la pratique de l’acte médical) et en dit long sur la mentalité de son chef, prompt à faire dans la communication démagogique. Cette infraction, de M.Cahuzac, relève du code fiscal, et c’est tout; et c’est seulement à ce titre qu’il doit être condamné.
L’Europe et la France, sont sur une pente descendante, après quelques siècles de domination; le malaise de l’économie médicale en est une des conséquences et je plains les jeunes diplômés qui vont arriver et rester en France (ce qui n’est pas spécifique à cette branche).

scandaleux le 5 avr. 2014

Scandaleux !

A un époque où tout se réduit financièrement et où tout se précarise, la situation d’un très grand nombre de médecins reste extrêmement privilégiée avec des revenus à provoquer des arrêts cardiaques chez pas mal de cadres supérieurs et chefs d’entreprises, aucun problème d’emploi, aucune mobilité obligatoire, à peine une formation continue obligatoire, pas d’ obligation de résultat, et encore très très ( cf statistiques ) peu de risques d’ actions en responsabilité devant les tribunaux, et des tarifs qui continuent à grimper, sans compter le black qui se développe de plus en plus dans ces professions et qui est parfois une condition impérative pour pouvoir être soigné ou opéré …

Un peu moins de gestionnaires de patrimoine et de concessionnaires 4×4 aux portes des professions médicales, un peu plus d’équité …….svp svp

Flora le 11 févr. 2014

Puis-je savoir quelle sorte de contrepartie la collectivité vous rend-elle..? Et puis y’a un delta entre l’esprit de lucre et une rémunération juste lorsque l’on sait tous les sacrifices et les responsabilités qu’imposent cette profession!
Non mais c’est avec un esprit comme le vôtre qu’on ne progresse pas et qu’on se sent toujours culpabilisés et redevables. Tout travail mérite salaire. C’est toujours les mêmes qui ont le sentiment d’avoir une dette vis-à-vis de notre cher pays.

Bleu horizon le 11 févr. 2014

Vous savez quoi , vous ne pouvez plus travailler à geneve , les suisses ont réintroduit la clause du besoin , les médecins français ne peuvent plus obtenir une autorisation d exercice depuis juillet 2013 .

Géraldine le 7 févr. 2014

@Alex : votre commentaire me laisse dubitative. Sans vouloir absolument polémiquer, à vous lire, on peut croire que vous n’êtes guidés que par l’esprit de lucre… Je vous invite à relire le serment d’Hippocrate dans lequel, un passage est concernant cet aspect y figure il me semble. Alors je suis aussi conscient que vous que le niveau des prélèvements semble particulièrement élevé en France, mais avez-vous songé aux contreparties offertes par la collectivité ?

Alex le 5 févr. 2014

Vous savez quoi ? On devrait tous aller vivre et travailler à Genève où nos professions sont tellement mieux reconnues, payées, et moins taxées. Marre de se tuer pour les autres sans aucune reconnaissance ni morale ni sociétale ni matérielle. Je suis médecin spécialiste en libéral et franchement j’en ai ras le bol. Ils ont bien raison tous ces sportifs et stars du show biz qui filent vivre ailleurs que dans ce pays où tout part en c…. C’est quand on aura un système de santé à l’américaine qu’on pleurera sur le notre, après l’avoir bousillé. En tout cas première fois que je tombe sur un article qui parle de ça. Chapeau. Et thanks

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