Pour ou contre la publicité comparative ?

17 août 2011 Economie 0 Comments Marie MEHAULT
Temps de lecture : 4 minutes

Très en vogue dans les pays anglo-saxons, la publicité comparative a longtemps été interdite en France. Encore aujourd’hui, elle surprend les consommateurs et reste ignorée par un grand nombre d’enseignes. Pourtant, elle est autorisée dans l’Hexagone depuis plus de quinze ans. Pour ou contre ce type de publicité ?

Deux experts donnent leur avis.

CONTRE

« Aujourd’hui, ce n’est pas une technique que je conseille à mes clients », Eric Delannoy, fondateur et gérant de l’agence de publicité « Talents Only »

« En tant que publicitaire, ma position de principe est d’être pour toute forme de publicité, mais quand je regarde la loi dans ce qu’elle permet de faire, mon enthousiasme faiblit très fortement. » Avant de fonder Talents Only, qui compte aujourd’hui parmi ses clients les Brasseries Fischer, la Fnac et Hachette Livres, Eric Delannoy a été président de BDDP et de TBWA. Pour le publicitaire, si des règles sont nécessaires, la loi encadrant la publicité comparative est beaucoup trop restrictive tout en laissant une part trop grande à la subjectivité.

« Si l’on reprend les termes de la loi, la publicité comparative doit porter sur des éléments significatifs et représentatifs d’un produit, mais si l’on prend le cas d’une machine à laver qu’est-ce qui est significatif ? Pour certains ce sera la contenance, pour d’autres le nombre de tours par minute ou le niveau de bruit… et puis il y a une part d’hypocrisie à interdire le dénigrement alors que la comparaison induit d’elle-même la mise en avant des défauts de son concurrent. » Pour Eric Delannoy, cette loi trop contraignante est issue d’une conception infantile du consommateur. En cherchant à le protéger, on donne en même temps un coup d’arrêt à la publicité comparative.

« Cette technique est pourtant intéressante, notamment pour un challenger qui chercherait à faire sa place face à un leader. Ce type de publicité peut avoir autant de sens qu’une publicité classique. J’ai en tête un excellent exemple. Il s’agit d’un bandeau sur Internet pour American Airlines. Les logos des autres compagnies aériennes sont représentés et le slogan invite à cliquer sur chacun d’entre eux pour voir quelle compagnie offre le plus de place à vos genoux. C’est une publicité remarquable, mais en France elle aurait pu aboutir à un procès. »

Et c’est là où le bât blesse pour Eric Delannoy qui garde en mémoire les démêlés juridiques opposant France Télécom à Télé 2. « Aujourd’hui en France, lancer une campagne de publicité comparative c’est jouer à la roulette russe. En tant que publicitaire, j’ai un rôle de conseil auprès de mes clients et en connaissant toutes les contraintes de cette technique, je ne peux vraiment pas la leur recommander. »

POUR

« La publicité comparative présente un intérêt mais il faut savoir l’utiliser avec discernement », Jean-Pierre Chebassier, co-président de l’agence de publicité « Ailleurs Exactement »

« La publicité comparative est une technique qui offre un intérêt. Mais elle n’a de sens que si elle est utilisée au bon moment, au bon endroit, dans les bonnes conditions et, bien entendu, avec le bon produit car on ne peut comparer que ce qui est vraiment comparable.» Pour le co-président de l’agence Ailleurs Exactement, qui gère entre autres les campagnes publicitaires d’Auchan, Go Sport et de la Générale d’Optique, ce type de publicité a un champ d’action limité.
« Il me semble difficile de mettre en place une campagne comparative sur la valeur ajoutée d’un produit. En revanche, sur le prix c’est beaucoup plus intéressant mais à notre époque cela implique des contraintes. »

Pour Jean-Pierre Chebassier, ce n’est pas le cadre légal qui empêche les publicitaires de s’adonner à cette technique mais plus la loi du marché. « Il faut s’attendre à ce que le concurrent réagisse très vite et ajuste ses prix, ce qui fait que ce type de publicité est difficilement utilisable à la télévision ou dans la presse magazine. Par contre, elle est beaucoup plus manipulable à la radio, dans les quotidiens ou sur Internet. »

Le profil du consommateur français limite également l’utilisation de cette technique selon le publicitaire qui a travaillé plusieurs années aux Etats-Unis, pays où la publicité comparative est utilisée à tout crin. « Le consommateur français est très l’affût des prix comme le prouve le fort développement des sites comparateurs. Et comme il fait lui-même la comparaison, il sera peut-être moins sensible à ce genre d’annonces. »

L’ensemble de ces facteurs conforte Jean-Pierre Chebassier dans sa position : « comme toute technique publicitaire, elle offre des possibilités à explorer mais elle doit être utilisée avec discernement. Peut-être qu’un jeune publicitaire serait plus enthousiaste, mais mes vingt ans d’expérience dans ce métier me font penser que cette technique révèle bien des contraintes pour l’annonceur. »

Propos recueillis par Sandrine Guinot pour Distrijob

Du côté du droit
C’est la loi du 18 janvier 1992 qui donne à la publicité comparative son premier cadre juridique. Elle sera modifiée en 1997, à la suite de directives européennes. Critiquée comme une pratique potentiellement déloyale, elle a été légalisée dans la mesure où elle constitue un moyen d’informer le consommateur. Les règles la régissant sont donc très strictes. Ainsi, la publicité comparative doit être loyale, véridique et permettre une comparaison objective afin de ne pas induire en erreur. Elle ne peut porter que sur des caractéristiques essentielles, significatives, pertinentes et vérifiables de biens ou de services de même nature. En 1992, la loi obligeait également à prévenir au préalable le concurrent de l’annonce comparative. Cette disposition a été supprimée avec l’ordonnance du 23 août 2001, transposant le droit européen.

Marie MEHAULT