Près de 20 maternités sur la sellette : faut-il encore fermer autant d’établissements ?

28 janvier 2015 Economie Marie MEHAULT
Temps de lecture : 6 minutes

naissanceEn quarante ans, la France a déjà fermé les deux tiers de ses maternités… et en ce mois de janvier 2015, il semblerait que l’hécatombe ne doive pas s’arrêter là : dix-neuf nouveaux établissements sont à leur tour menacés de devoir mettre la clé sous la porte, épinglés par un rapport de la Cour des Comptes, qui vient d’être rendu public… et qui met le secteur de l’obstétrique dans le pays à feu et à sang.

 

mamanPour le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, maire UDI d’Arras et initiateur de ce rapport, c’est avant tout une question de précautions, et de prise en compte des normes définies pour améliorer la sécurité des naissances : « Une nouvelle étape de recomposition du réseau des maternités est inévitable et nécessaire », estime-t-il ainsi, « puisqu’en France, une maternité doit effectuer plus de 300 accouchements par an pour continuer son activité en toute sécurité, d’après deux décrets publiés en 1998 et qui ont institué ce seuil. Or, de très petites maternités, dix-neuf au total, restent ouvertes, bien qu’elles se situent en dessous du seuil des 300 accouchements par an. Et donc, elles continuent à fonctionner dans des conditions de sécurité insuffisamment vérifiées ». Le sénateur, cite en exemple la maternité de Die, dans la Drôme, qui enregistre seulement 177 naissances par an (chiffre de 2013), ou encore celle d’Ussel en Corrèze, où sont signalés, dit-il, des « risques avérés en matière de sécurité ». Mais dans son rapport, Jean-Marie Vanlerenberghe va encore plus loin, puisqu’il préconise de « revoir certaines règles actuellement en vigueur, notamment en examinant le relèvement du seuil d’activité minimal de 300 accouchements par an ». Une réforme « nécessaire pour que les réorganisations à venir soient l’opportunité de progrès indispensables », à en croire l’élu… Sauf qu’alors, ce ne sont pas 19 maternités, mais bien davantage, qui pourraient se retrouver en sursis, en fonction du niveau auquel ce « seuil minimal de naissances par an » serait relevé.

 

fermeturesSur les 19 établissements cités, la Cour des Comptes précise même que treize présenteraient un danger pour les parturientes et leurs enfants, du fait d’une trop faible activité. D’après l’enquête de la Cour des Comptes, ce sont des maternités peu contrôlés, qui ne sont pas suffisamment aux normes, et requièrent une mise en conformité immédiate et impératives. Des maternités, qui sont déjà en sursis depuis les fameux décrets de 1998 cités par le député-maire d’Arras, puisqu’elles ont bénéficié de dérogations pour pouvoir continuer leur activité. Des dérogations, justifiées par leur proximité géographique, dans des régions où le désert médical est galopant, et où la pénurie de médecins, de sages-femmes, d’obstétriciens, d’anesthésistes, est déjà cruelle. Et c’est là que le bât blesse : dans ces départements les structures sont si peu nombreuses que les habitants y sont viscéralement attachés. A Die, par exemple, le rapport de la Cour des Comptes est reçu comme une véritable claque : « On va finir par être une véritable réserve d’Indiens ! Si on nous supprime les administrations, le droit de mourir, de vivre, de naître ici… bien sûr que j’y tiens à ma maternité, c’est évident. Quand on a quelque chose à côté, on n’a pas envie de le perdre ! », s’exclame une jeune maman, dont le bébé est né à peine une heure après le début des contractions. « S’il avait fallu qu’on fasse une heure de voiture pour aller au CHR, il y a des chances qu’on se soit arrêté au bord de la route… Pas vraiment ce dont on rêve pour la naissance de son premier enfant ! ».

 

soinsA Saint-Girons, au cœur des Pyrénées, la maternité du Centre hospitalier Ariège-Couserans réalise 219 naissances par an. Pourtant, en 2012, l’Agence Régionale de Santé lui a renouvelé l’autorisation d’exercer, pour une raison toute simple : l’éloignement géographique de ses 30 000 habitants. « J’ai toujours été suivie par les médecins de cet hôpital », témoigne à son tour une jeune maman, qui vient d’accoucher dans cette maternité, à 20 minutes de chez elle, alors que celle de Toulouse se situe à plus d’une heure de route. « On considère l’éloignement excessif quand la maternité se situe à plus de 45 minutes du domicile de la patiente », explique Didier Lafage, directeur de la petite maternité. « Si nous n’étions pas là, certaines patientes du territoire se trouveraient à plus d’une heure et demie de la maternité la plus proche, et encore, en considérant que les conditions de circulation sont bonnes, alors qu’on est en pleine montagne, et que l’hiver, les routes sont peu praticables. »

 

securiteDans ces petites maternités, l’accusation de mise en danger de la santé des patientes et de leurs bébés, est très mal vécue : « on suit des protocoles, on travaille en réseau, on oriente les grossesses à risque en amont vers les maternités compétentes, on sait où sont nos limites et on travaille en prévention et en gestion des risques, donc je ne pense vraiment pas que venir accoucher à Saint-Girons ce soit risqué ! », estime le docteur Marie-Pascale Delchambre, gynécologue obstétricienne. Et si le rapport de la Cour des Comptes estime que, depuis le début des années 2000, le regroupement des petites maternités dans de grosses structures « n’a pas dégradé la couverture du territoire », ce n’est pas l’avis des professionnels de santé qui pratiquent, au jour le jour, des accouchements partout en France : dans un communiqué, le Collège National des Sages-Femmes de France (CNSF) dénonce ainsi des fermetures qui engendrent « la multiplication des accouchements non assistés, c’est-à-dire sans aide médicale, vouée à s’amplifier encore ». Leur faisant écho, l’Association des Petites Villes de France (APVF) a à son tour condamné le rapport des Sages, estimant qu’il risquait encore d’aggraver les inégalités territoriales en termes d’accès aux soins. Olivier Dussopt, maire PS d’un petit village d’Ardèche, rappelle qu’« en 2012, le président de la République avait pris l’engagement selon lequel aucun Français ne doit se trouver à plus de 30 minutes de soins d’urgence. Cet objectif n’a pas encore été atteint et la fermeture de structures de proximité risque de nous en éloigner encore davantage. Plutôt que de céder à une logique comptable, il vaudrait mieux prendre en compte les inégalités territoriales, et renforcer les conditions de sécurité dans l’ensemble des maternités ».

 

bebeAutre levée de boucliers, assez inattendue et pourtant bien réelle : des patientes de très grands hôpitaux, fruits des regroupements de maternités opérés depuis les années 2000. Elles ont accouché dans ces grands ensembles « impersonnels » et dénoncent des situations « dignes de l’usine » : des personnels débordés, des mamans « traitées comme du bétail ». Pour ces parturientes, le regroupement des maternités dans des « sortes de villes hospitalières dans la ville, où naissent 6000 bébés par an, ne garantit pas une meilleure sécurité que dans de tout petits établissements où le personnel forme une équipe soudée, proche des patientes, qu’elles traitent avec beaucoup plus d’égards et d’humanité ». Les soignants de ces grands ensembles reconnaissent d’ailleurs eux aussi qu’assurer la sécurité des mamans et de leurs enfants dans ces conditions « d’accouchements à la chaîne », relève du « travail d’équilibriste ». « On ne peut plus se permettre d’avoir des lits vides, au cas où », témoigne sous couvert d’anonymat une gynécologue de l’hôpital Cochin-Port-Royal, la plus grosse structure d’Ile-de-France. « Dans les années 1990 nous avions ces lits de ‘soupape’ comme on dit, ce qui est indispensable dans des services où par définition, l’activité n’est pas linéaire, puisqu’on peut avoir un jour 20 accouchements, et le lendemain seulement 5. On a voulu regrouper trop d’activités sur ces gros établissements, à la fois les activités spécifiques d’accouchements difficiles, et un très gros volume d’accouchements ‘normaux’, ce qui fait que finalement, il n’y a plus la disponibilité nécessaire pour les accouchements difficiles ». L’une des solutions avancées par les professionnels : le recours à des maisons de naissance adossées aux maternités, pour les accouchements considérés comme étant sans danger. (Voir notre article : Sages-femmes pour ou contre les maisons de naissance ?)

 
 

Marie MEHAULT