Ecotaxe : tout ça pour ça !

25 juin 2014 Législation, Transport 1 Comment Marie MEHAULT
Temps de lecture : 4 minutes

ecotaxeEt voilà ! Démontés les portiques écotaxe, sans avoir jamais eu l’occasion de servir… victorieux, les Bonnets rouges, dont la fronde se sera finalement révélée payante. Le gouvernement Ayrault a vécu, voilà l’ère Valls et le remplacement de l’écotaxe honnie par un « péage pour poids lourds » qui concernera… trois fois moins de routes que prévu, 4500 km contre 15 000 initialement, et qui épargnera quasiment la Bretagne, hormis l’axe Saint-Lô-Nantes par Rennes. Les véhicules agricoles et les véhicules forains, tout comme les camions pour la collecte du lait, seront épargnés. Bref, le champ des ambitions s’est très nettement rétréci !

 

portiqueAu niveau du porte-monnaie étatique aussi, le nouveau projet fait disette : alors que l’écotaxe devait permettre des recettes de 1.15 milliard d’euros par an, les péages à poids lourds, eux, ne rapporteront pas… lourd ! Presque trois fois moins : 550 à 560 millions d’euros annuels, tout au plus. En même temps, il faut dire que depuis sa suspension avant même sa mise en œuvre, l’écotaxe aura au final surtout servi à dépenser de l’argent : l’Etat reconnaît lui-même être largement débiteur de la société Ecomouv’, qui aura installé près de 163 portiques sur notre territoire (entre 500 000 euros et un million d’euros pièce !) pour… les reprendre, un an après, intacts et inutilisés !

 

manifestationUn gouffre sans fond, cette écotaxe… Car même s’il renonce au projet initial, l’Etat va tout de même devoir verser des compensations à la société Ecomouv’, « victime » collatérale de cet abandon. Enfin, pas tout à fait… Non seulement, le gouvernement français a « reconnu que le contrat du dispositif développé par Ecomouv était conforme, et a exempté la société de tous les coûts opérationnels et financiers liés à la décision de suspendre l’écotaxe », a indiqué le groupe, détenu à 70% par le groupe italien Atlantia. Mais en plus, Ecomouv’ pourrait aussi se voir verser plus de 800 millions d’euros de compensation !!! Joli lot de consolation ! Surtout que c’est Ecomouv’ qui restera chargée de la collecte des recettes, pour les nouveaux péages.

 

transportLe pire, c’est que cette solution, censée satisfaire définitivement les mécontents de l’écotaxe, dont le flot grossit depuis le début de la mise en place de la mesure en 2007, ne fait pas pour autant que des heureux. Loin de là… D’abord, la méthode retenue par le gouvernement Valls : les nouveaux péages supposent que les poids lourds de plus de 3.5 tonnes, les seuls qui seront taxés, soient équipés d’un GPS. Ce dernier permettra de calculer la distance parcourue entre deux points, et de facturer à raison de 13 centimes d’euros le kilomètre. Premier point, qui suscite déjà les réactions des patrons routiers spécialisés dans les gros gabarits : « c’est injuste », estime Norbert, patron d’une PME à Marseille qui n’emploie que des 3.5 tonnes et plus. « Tous les camions devraient payer la même chose, sur tout le territoire. A ce tarif là, je préférais l’écotaxe, au moins on était plus nombreux à payer et ça coûtait moins cher à tout le monde ! Là, on est les dindons de la farce, on réduit le périmètre de la taxe… et les malheureux qui sont dans le collimateur se retrouvent isolés pour payer toute la facture ! Quant aux poids lourds étrangers, OK, ils vont payer, mais c’est de la théorie : dans la pratique, ils s’en fichent complètement, personne ne peut les obliger à payer une fois sortis du territoire, surtout les camions d’Europe de l’est qui n’ont signé aucune convention de coopération ! Et puis, avez-vous pensé aux consommateurs, qui vont voir augmenter les prix des livraisons, les particuliers comme les professionnels ? C’est évident que les entreprises de transport vont répercuter sur le client final. Qui ne le ferait pas ?»

 

routeAutre catégorie de mécontents : les habitants des zones rurales, très inquiets des conséquences de ce genre de mesure : « Notre crainte, évidemment, c’est que les poids lourds se mettent à éviter au maximum les axes à péages, et affluent en masse sur les petits axes, quitte à défoncer nos routes nationales et à traverser nos villages » ! s’insurge une habitante de Pradelles, petit village situé dans le Nord-Pas-de-Calais et dont l’ancien maire a consacré dix ans de sa vie à dénoncer la circulation à outrance de poids lourds sur la N42 qui traversait la commune… Le 18 mars 2006, l’élu a lui-même été écrasé sur l’axe en question, alors qu’il venait constater les dégâts d’une première collision. « Les routes secondaires vont être utilisées comme des raccourcis, elles seront bousillées en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et qui va payer ? Le contribuable, comme pour l’écotaxe !!! » renchérit son époux, hors de lui.

 

segolene_royalLes écologistes, eux, se sentent trahis… tout comme les Bonnets rouges, mais pas pour les mêmes raisons ! Les premiers, dénoncent une « taxe au rabais » pour « acheter la paix sociale », tandis que les seconds, via Christian Troadec leur porte-parole, estiment qu’un péage en Bretagne (sur l’axe Saint-Lô-Nantes), c’est encore trop ! « Ce n’est pas le bon scénario », a estimé le maire de Carhaix, qui réclame la gratuité totale des routes en Bretagne et promet de rester mobilisé. Au lieu d’apaiser les tensions, le nouveau scénario a semble-t-il… surtout ravivé la flamme des mécontents.

 
 

Marie MEHAULT