Ecotaxe : les transporteurs mauvais joueurs ?

19 août 2013 Législation 13 Comments Marie MEHAULT
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transportA en croire le gouvernement, la loi est votée, archi-votée, il n’y a pas à tortiller : l’écotaxe sera mise en place au premier octobre, point final. Concrètement, cela signifie que depuis le 19 juillet, tous les routiers de France et de Navarre, et même les routiers de l’étranger, doivent s’enregistrer auprès d’Ecomouv, l’organisme mandaté par l’Etat pour prendre en charge la mise en place concrète du système. Au total, 800 000 véhicules, pas moins : 200 000 immatriculés à l’international, et 600 000 dans l’Hexagone. Objectif : que chaque poids lourd de plus de 3,5 tonnes soit fiché dans les dossiers, afin de pouvoir être taxé dès qu’il empruntera les réseaux départementaux et nationaux soumis au nouvel impôt, soit en tout 15 000 kilomètres.

camionsPetit problème : manifestement, les transporteurs français ne sont pas très pressés d’obtempérer ! Très peu d’entre eux, une infime minorité en réalité, se sont d’ores et déjà enregistrés auprès d’Ecomouv. Pourtant, la société, filiale de l’Italien Autostrade, est ultra prête. C’était la clé pour emporter l’appel d’offres du gouvernement : être capable de tout organiser dans un délai record. Ecomouv a donc mis les moyens. Plus de 150 personnes sont dans les starting-blocks depuis le 19 juillet, dans le centre d’appels tout neuf, près de Metz… Et elles en sont réduites à se tourner les pouces, ou presque !

ecotaxe« C’est un vrai problème », affirme Michel Cornil, vice-président d’Ecomouv. « On est capable, actuellement, d’enregistrer 10 000 véhicules par jour. L’idée, c’est évidemment de répartir la charge de travail au maximum, de la lisser entre le 19 juillet et le 1er octobre. Or, là, comme les routiers ne s’enregistrent pas, on peut craindre un engorgement terrible dans les derniers jours de septembre. Si chacun attend le dernier moment, on ne pourra pas suivre, même si on a déjà prévu de doubler à 300 le nombre de téléconseillers dans le centre d’appel dédié aux enregistrements. Fin août, des bornes automatiques d’enregistrement seront aussi mises en place dans près de 450 points géographiquement répartis dans toute la France : stations d’autoroutes, etc… » 

chauffeurDe là à en déduire que les patrons des entreprises de transport françaises ne jouent pas le jeu, et font même carrément preuve de mauvaise volonté ? « Ce serait faux, même si c’est clair que cette taxe, aucun transporteur n’en voulait », reconnaît Benoît Daly, secrétaire général de la FNTR, la Fédération Nationale des Transports Routiers. « Pourtant, les routiers essaient d’y mettre du leur, mais la façon dont les choses sont mises en place, c’est tout simplement aberrant ! Vous rendez vous compte ? 800 000 véhicules en 3 mois et demi, c’est juste impossible. Ils disent que c’est juste 3 papiers à fournir, et deux boutons sur lesquels appuyer ou un simple numéro vert à faire. C’est faux ! On nous demande des tonnes de justificatifs, la plupart doivent avoir été mis à jour il y a moins de trois mois, il faut recommencer tout à zéro si l’un n’est pas conforme… Une vraie usine à gaz !!! Non seulement le transport français va mal, toutes les entreprises sont fragilisées par la crise, et en plus on nous enfonce la tête sous l’eau avec cette taxe… Ils pourraient au moins s’arranger pour que s’enregistrer ne soit pas, en plus, un cauchemar supplémentaire ! »

poids_lourdsDe fait, cette nouvelle taxe n’en finit plus de susciter la colère des transporteurs français. Elle représente, en moyenne, 500 euros par mois, et par camions. « Vous avez dix camions ? C’est 5000 de plus par mois à prévoir dans votre trésorerie. 60 000 par an. Comment voulez vous faire ? », fulmine Joël, petit patron routier indépendant dans le Pas-de-Calais, qui travaille avec son épouse. « Nos marges sont déjà ridicules ! Alors ils sont gentils, ils ont voté une loi pour dire qu’on doit reporter ce coût supplémentaire de la taxe sur nos clients. Mais les chargeurs, ils n’attendent que ça pour arrêter de travailler avec nous, et se tourner vers la concurrence des pays de l’Est, beaucoup moins chère ! ». 

En Bretagne, vendredi 2 août, des manifestants ont abattu l’un des 172 portiques déjà installés par Ecomouv sur le réseau taxable : ces portiques, qui surplombent les voies, sont bardés de capteurs, de caméras et de feux pour vérifier que le tonnage de votre camion correspond à sa plaque d’immatriculation, et aux données que  vous avez transmises lors de l’enregistrement de votre véhicule. Selon l’un des leaders du mouvement, « ce portique n’est que le symbole des contrôles qui vont mettre à terre nos entreprises ! ».

sanctionLes transporteurs bretons, comme le reste de leurs collègues en France, réclament a minima un nouveau report pour l’application de la taxe, soutenus par le MEDEF. Pierre Gataz, le nouveau président de l’organisation patronale, a écrit au Premier Ministre pour demander que soit choisie une date « qui permettra une entrée en vigueur dans les meilleurs conditions ». Le ministère des Transports a toutefois répondu qu’il n’était pas question de reporter l’échéance du premier octobre, déjà repoussée une fois. « L’obligation de s’équiper est prévue dans les textes, ceux qui ne le font pas dans les temps seront verbalisés », a prévenu Frédéric Cuvillier, le ministre des Transports. Il faut dire que l’écotaxe doit rapporter 1,2 milliard d’euros par an. On comprend que l’Etat soit pressé de la voir s’appliquer !

 

Marie MEHAULT