Les DRH et l’Intelligence Artificielle (IA)

13 novembre 2019 Outils de recrutement 0 Comments Marie MEHAULT
Temps de lecture : 6 minutes

Alors qu’une polémique secoue plusieurs entreprises américaines, accusées de discriminer des candidats à l’embauche grâce à une intelligence artificielle qui, via des algorithmes, analyse leur comportement, leurs émotions ou leur vocabulaire pendant les entretiens, nous avons voulu vous proposer ce dossier sur la manière dont l’IA peut faire – et fait déjà – évoluer les métiers des ressources humaines. Des logiciels, destinés à faciliter les entrevues professionnelles, existent maintenant depuis quelques années ; cependant, ces outils se développent aujourd’hui avec une nouvelle ampleur, en particulier dans les secteurs en tension, comme les transports, la distribution ou les nouvelles énergies. Ce qui pose, bien sûr, des questions de déontologie et d’éthique : il n’est pas anodin d’utiliser les technologies numériques dans le cadre d’un exercice typiquement humain…  surtout quand certains recruteurs américains, on le voit, n’hésitent pas à aller jusqu’au décryptage des expressions du visage, la tonalité de la voix ou le champ sémantique du candidat…..

Comment, dès lors, rester dans le cadre de la loi et, au-delà, dans le respect des différences pour ne pas tomber dans des processus clairement discriminants ? Dans quelle mesure ces outils de systématisation n’empêchent-ils pas de traiter chaque recrutement comme un cas particulier, et donc, ne poussent-ils pas les DRH à standardiser les embauches ? Comment continuer à exercer ses compétences de DRH quand on est à ce point assisté par le technologique, rester vigilant sur les méthodes, continuer à prendre en compte les qualités de chaque individu dans son unicité, ne pas s’arrêter à l’analyse de la machine pour garder une capacité de jugement propre, au-delà des mots employés par la personne d’en face et au-delà de sa gestuelle ou de son langage corporel… surtout dans une situation de stress qui peut inhiber certains, désinhiber les autres, et ne reflète jamais exactement la vraie nature de l’humain qui postule ?

Les dangers sont réels, d’autant que du côté des candidats aussi, ces nouvelles pratiques poussent à l’uniformisation des candidats, qui n’osent plus apparaître devant le recruteur tels qu’ils sont, mais tels qu’ils pensent devoir paraître ? C’est évidemment un réflexe qui anime chaque postulant depuis que les entretiens d’embauche existent, mais on en arrive à des situations caricaturales, où les facs et les grandes écoles programment désormais des cours « d’attitude » aux élèves dans la perspective d’entretiens d’embauche avec une intelligence artificielle. Néanmoins, l’usage de l’IA dans les ressources humaines a mille avantages et ne doit pas non plus être écarté des pratiques, car il permet de gagner, clairement, en efficacité avec de vrais gains de temps et une sorte de nouvelle « productivité » des RH, qui évite aussi bien aux recruteurs qu’aux candidats de perdre leur temps et de bercer de faux espoirs… Certains recruteurs argumentent même que ces logiciels permettent, plutôt que de discriminer les candidats, de donner au contraire à tous la même chance, « sachant que la disposition, bonne ou mauvaise, d’un recruteur à l’égard d’un candidat est toujours subjective et peut dépendre d’une dispute ou d’une réconciliation conjugale, de la circulation le matin, d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle, de ses prédispositions à travailler avec tel ou tel profil, de sa préférence pour les hommes ou les femmes, etc…. », analyse l’Observatoire sur les Impacts Sociétaux de l’IA et du Numérique.

L’Intelligence Artificielle, bien employée et bien gérée, avec tous les garde-fous éthiques nécessaires, peut donc « transformer les métiers des Ressources Humaines non pas en leur enlevant leur dimension philanthropique, mais au contraire en la renforçant », estime de son côté le Lab 50, expert de l’intelligence artificielle dans le monde professionnel. « On appelle cela l’empowerment, c’est-à-dire littéralement le pouvoir renforcé. C’est ce que prône par exemple Luc Julia, le Français qui a inventé Siri : pour lui, l’IA doit être au service de l’homme et de l’humain, jamais l’inverse. C’est l’intelligence augmentée, c’est-à-dire qu’on continue à travailler à partir de fondamentaux humains, mais on en renforce l’efficacité et la rationalité. On rend le recruteur plus autonome, tout comme le recruté, dans leurs tâches humaines. C’est une vision complètement différente de celle qui accuse l’IA de vouloir prendre la place des hommes et déshumaniser les relations au travail. C’est une vision qui prône l’IA comme assistant des tâches fonctionnelles pour justement laisser plus de temps et d’énergie aux DRH pour se consacrer à l’humain ».

En clair, le DRH peut, grâce à l’IA, renforcer sa place stratégique au sein de l’entreprise, en utilisant les logiciels et les algorithmes, par exemple, pour se débarrasser des tâches dites « aliénantes » (administratif, plannings, traitement de données, fonctions prédictives et répétitives…) pour une meilleure valeur ajoutée aux tâches purement managériales et humaines, à fort coefficient empathique et relationnel. Automatiser certains process digitaliser des données et les trier, par exemple, permet aux DRH de se concentrer sur tout ce qu’un robot ne pourra jamais faire mieux qu’un homme : la formation des collaborateurs, les entretiens de recrutement, les entretiens de carrière, les feedbacks sur missions, le coaching, la gestion des situations de stress ou de tensions sociales comme les cas de harcèlement, les litiges, les conflits…. A ce titre, l’intelligence artificielle transforme et approfondit la vocation des personnels RH à se consacrer aux « Ressources Humaines », en robotisant ce qui peut l’être et en consacrant plus et mieux à l’humain en tant que tel dans la sphère professionnelle.

« A l’aide de l’IA, la création et l’analyse des données fournies par les salariés permet aussi, de plus en plus, aux responsables des ressources humaines de mettre en place des applis internes aux sociétés, avec par exemple des systèmes de notifications, qui créent un lien beaucoup plus direct et beaucoup plus rapide, donc efficace, entre une personne en souffrance au travail par exemple, ou confrontée à une problématique qu’elle ne parvient pas à résoudre seule, et ses collègues ou sa hiérarchie. Dans ce cas précis l’IA permet de mettre tout de suite en relation la personne en difficulté et la personne la mieux à même de résoudre son problème, par ses compétences ou par sa position dans l’entreprise, grâce à une analyse fine de la situation par l’IA. La globalité des datas produites par le salarié quand il entre en interaction avec tel ou tel support (appli, interface, intranet…), triées et analysées par l’intelligence artificielle, peuvent ainsi être communiquées une fois synthétisées au N+1 ou au N+2 et ainsi, le mettre au courant au moment M des situations vécues par son personnel : démotivation, conflit, abus, risques psycho sociaux, etc… », explique un proche collaborateur de Cédric Villani, qui avait rendu un rapport sur le sujet à Emmanuel Macron, il y a maintenant 18 mois. A l’époque, dans son discours, le président lui-même avait d’ailleurs insisté sur le fait que l’IA « doit servir un projet dans les conditions définies par ceux qui l’ont programmé, sur la base des données qui lui ont été fournies »…. C’est particulièrement valable pour les Ressources Humaines.

Dans la vraie vie, du coup, comment imaginer l’évolution des fonctions RH en harmonie avec les nouvelles possibilités offertes par l’IA ? « Tout simplement avec des situations du quotidien transformées positivement grâce à ces applis ou ces logiciels nouveaux, permis par l’IA », explique  l’Académie française des Technologies. « Les salariés auront sur leur smartphone une appli d’entreprise qui leur permettra de communiquer directement avec les RH sur les points qui leur paraissent importants pour bien travailler et être performants : l’ambiance au bureau, le débriefing d’une réunion, les idées à soumettre sur tel et tel projet, ses demandes de formation professionnelle ou d’entretien avec sa hiérarchie, ses points de satisfaction et de non satisfaction sur les conditions de travail, la rémunération, l’interaction collective, l’intérêt des missions, etc…. En face, les RH pourront envoyer à leurs salariés des réponses, des dates ou des demandes de rendez-vous, des suggestions de formation, des propositions de stages ou de cours personnalisés sur tel ou tel sujet, des propositions d’activités anti stress au sein de l’entreprise, etc… »

Pour les recrutements, l’IA ne doit pas intervenir dans le processus final d’embauche évidemment, mais quand vous avez 1000 candidats pour un seul poste, cela permet d’effectuer une présélection intelligente grâce aux algorithmes qui vont analyser si tel ou tel candidat a eu raison de postuler ou s’il s’est manifestement trompé car rien dans son profil ou ses antécédents ne lui permet d’être légitime sur cette candidature. « L’IA peut permettre aux RH d’améliorer leur efficacité sur les process d’embauche débutants, pour mieux se concentrer sur la phase finale, avec des candidats tous légitimes et un choix compliqué à faire, où là, l’humain et seulement l’humain sera privilégié », analyse l’IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales). « Créer de la valeur en évitant de perdre du temps et de l’argent sur les processus de recrutement, non pas au détriment des candidats (puisqu’on fait aussi gagner du temps à un candidat qui ne correspond absolument pas au profil en le lui indiquant après analyse de ses données par algorithme, plutôt qu’e le faisant venir à trois entretiens différents), c’est pouvoir injecter davantage d’argent dans d’autres postes humains importants en entreprise. Réduire un processus de recrutement de 6 semaines à 6 jour, c’est gagner du temps et de l’argent pour un résultat tout aussi efficace, voire plus efficace, car le RH n’aura vu que les candidats qui l’intéressent vraiment, aura donc eu plus de temps et plus d’énergie à leur consacrer, pour des entretiens plus qualitatifs car moins épuisants que s’il avait du en enchaîner 50 au lieu de 5… En ce sens, l’IA peut accroître les performances des fonctions RH sans leur enlever leur substantifique moelle qu’est l’humain, mais au contraire en permettant de la renforcer. C’est d’ailleurs pour cela que de plus en plus de recruteurs passent par des plateformes internet dédiées à l’emploi : parce que le premier travail de sélection se fait tout seul, grâce à l’analyse des datas, et qu’on ne leur soumet au final que des candidatures percutantes ».

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Marie MEHAULT