Fonction Publique Hospitalière : les salaires resteront gelés jusqu’en 2017

29 avril 2014 Société 9 Comments Marie MEHAULT
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centre_hospitalierC’est une mauvaise nouvelle pour les 5.2 millions de fonctionnaires en France, tous métiers confondus… mais pour les 1.035 millions d’agents de la Fonction Publique Hospitalière, c’est carrément le coup de massue : Manuel Valls vient de confirmer le gel des salaires des fonctionnaires, au moins jusqu’en 2017. Le même jour, il annonçait que la Santé devrait participer quasiment pour moitié aux 50 milliards d’euros d’économie nécessaires à la France d’ici la fin du quinquennat. Le sentiment d’une double peine pour les personnels concernés : à la fois au niveau de la rémunération, mais aussi des conditions de travail.

 

hopitauxCar le gel des salaires de la Fonction Publique Hospitalière signifie surtout une réelle baisse du pouvoir d’achat : selon une étude de l’INSEE, publiée il y a quelques jours, les agents de la FPH ont connu une baisse de leur salaire net moyen de 0.6% en 2012, pour une moyenne de 2240 euros mensuels. Car ce gel du point d’indice ne vient pas tout juste d’être gelé, il l’est déjà depuis 2010… période de statu quo inédite depuis la création du statut, en 1945 ! Alors les salariés espéraient bien une fin imminente de cette mesure pénalisante. Las ! Il continuera donc à être gelé pendant au moins 3 ans. Et pendant ces années de gel, l’inflation, elle, continue à grimper. Résultat : le coût de la vie augmente, les différentes mesures alourdissant la fiscalité se multiplient, et cet indice qui n’augmente pas ne se traduit pas par une stagnation, mais par une réelle baisse de pouvoir d’achat.

 

infirmiers« Je suis infirmier, et justement j’ai fait le choix de travailler exclusivement la nuit aux urgences pour faire plus d’heures, et mieux m’en sortir », raconte Luc, 35 ans. « Mais au bout de dix ans d’ancienneté, je suis à peine à 2300 euros par mois. Si je bossais en journée, ce serait 1900 euros. Malgré mon salaire, qui est pourtant très bon pour le secteur, je commence vraiment à sentir que je m’appauvris. » Lorraine, infirmière elle aussi en pédiatrie, estime « gagner quasiment le même salaire à cent euros près qu’une aide-soignante » après 3 ans et demi d’études et cinq ans d’expérience.

 

patient« Je sais ce que nous devons à nos fonctionnaires, si essentiels à la vie de ce pays » a reconnu le premier ministre lors de son discours de politique générale. « Nous leur devons notre reconnaissance… Cependant, la situation nous oblige à leur demander de contribuer à notre effort commun »… en acceptant le maintien du gel de leurs salaires pendant les années qui viennent. Sauf que l’effort national, les agents de la FPH ont le sentiment d’y contribuer, et beaucoup, depuis longtemps.

 

soignantCes agents, qui sont-ils ? Tous les personnels (hors médecins, biologistes, pharmaciens et orthodontistes) des établissements d’hospitalisation publique, mais aussi des maisons de retraite publiques, des établissements publics d’aide sociale à l’enfance ou aux personnes handicapées et inadaptées, ou encore les personnels des centres d’hébergement et de réadaptation sociale à caractère public. 90% d’entre eux travaillent dans des établissements de santé, 10% dans des établissements sociaux et médico-sociaux. Ils sont soignants (infirmiers, infirmiers spécialisés, aides-soignants) mais aussi rééducateurs (diététiciens, masseurs, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes, psychomotriciens…), éducateurs, techniciens, administrateurs, ouvriers… Les femmes représentent les 3/4 de ce personnel de la FPH, sauf dans la filière technique à 70% masculine. « Le problème, c’est qu’on parle toujours du coût des fonctionnaires sans comparer avec le service rendu », regrette Carole, orthophoniste au CHRU de Nantes. « Depuis le gel de l’indice, mon salaire net n’a pas augmenté, il a baissé en raison de la hausse des cotisations de mutuelle et de la correction de la CSG ! »

 

santeLe point d’indice, le fameux, c’est la base qui sert de calcul pour le traitement des fonctionnaires. Au grade, à l’échelon, à l’ancienneté etc… du salarié, va correspondre un « indice majoré ». Pour faire varier le salaire des fonctionnaires, il suffit à l’Etat d’augmenter le point d’indice. Et en théorie, cela devrait être fait régulièrement, au moins au rythme de l’inflation. Seulement voilà : selon la Cour des Comptes, une simple augmentation de sa valeur représenterait un coût de 1,8 milliards d’euros pour les trois fonctions publiques (hospitalière, territoriale et d’Etat). Insignifiant pour les salariés concernés (quelques euros par mois), exorbitant pour les finances publiques à en juger par la décision du premier ministre.

 

samu« Le problème, c’est aussi quand on est au maximum de sa grille indiciaire » estime Jacques, cadre administratif au CHRU de Lille. « J’ai 55 ans et je n’ai plus d’échelon à grimper. Du coup, le blocage du point d’indice entraîne le décrochage de mon salaire par rapport aux retraites de gens qui sont partis avant moi, à poste et à salaire équivalents. Comme les retraites de la fonction publique sont basées sur les salaires, ceux qui sont partis il y a quatre ans touchent déjà plusieurs centaines d’euros de plus que ceux qui partent maintenant, pour l’exemple de mon salaire, 3500 euros mensuels. Alors moi, dans 7 ans… » « Pour un fonctionnaire arrivé au dernier échelon de son grade, c’est la punition », confirme Michel, directeur des services techniques dans un grand hôpital parisien. « Sauf à changer de grade par concours ou à faire jouer la mobilité, ce qui est loin d’être évident quand on a bientôt la soixantaine, la rémunération ne bouge plus. Or, beaucoup de fonctionnaires de la fonction hospitalière sont déjà au taquet, bien avant la retraite ! »

 

hopitalAu delà de la question des salaires, c’est l’évolution de leurs conditions de travail qui préoccupe les fonctionnaires de la Santé. Avec plus de vingt milliards d’économies à faire en 3 ans, tous secteurs confondus, ils craignent de travailler dans des environnements de plus en plus dégradés, pour des salaires de moins en moins attractifs. « Vu la multiplication de nos tâches et de nos responsabilités, ce n’est pas acceptable », se plaint Marie, infirmière en réanimation. « Il n’y a aucune reconnaissance de nos spécialisations. Un infirmier qui se spécialise dans l’anesthésie par exemple, ou qui risque sa vie dans le camion des urgences, sera payé autant qu’un infirmier qui donne un doliprane à un patient ! » « Aujourd’hui, ce sont les infirmiers qui font tourner les services de soins, c’est de plus en plus dur et on est de plus en plus seuls », témoigne Luc, infirmier lui aussi, dans un service de gériatrie à Lyon. « On est les laissés pour compte de la fonction publique, et on nous prend encore pour des ascètes qui vivent de pâtes et d’eau fraîche ??? ».

 

 

Marie MEHAULT