SDF : les oubliés de la canicule

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SDFAznavour chantait que la misère serait moins pénible au soleil. Pourtant, l’été est une saison que les Sans Domicile Fixe redoutent presque plus que l’hiver. Déshydratation, coups de soleil, pertes de connaissance aussi : les fortes températures ne pardonnent pas toujours. Alors, les associations se mobilisent pour envoyer des équipes d’infirmiers de rue en maraude. Difficile, en pleines vacances, quand les bénévoles manquent. Ernest et Céline, eux, se sont portés volontaires. Chaque jour, ils sillonnent les rues de Lyon pour tenter de repérer les SDF terrassés par la chaleur. Il fait 35 degrés à l’ombre, beaucoup plus au soleil… ils s’agenouillent auprès d’un homme, en état d’ébriété, couché sur le trottoir, en pleine canicule. Il ne semble pas avoir conscience du danger, mais ne parvient pas à se relever seul. Ils lui tiennent la tête et lui font boire de l’eau fraîche. Finalement, le quinquagénaire semble trop faible pour se débrouiller seul. Ils appellent le SAMU. « On doit être certains qu’il n’aura pas de problème, on ne peut pas le laisser comme ça, il n’a vraiment pas l’air d’aller bien », explique André Pierre, l’ambulancier qui arrive quelques minutes plus tard. « Pour nous malheureusement, ce sont des interventions banales. Nous savons combien la chaleur peut être plus redoutable que le froid. »

caniculeLe sans-abri est évacué rapidement. Grâce à l’intervention des infirmiers de rue, le pire a été évité. Direction la gare, à présent. Ernest et Céline discutent quelques minutes avec les SDF assis devant les fontaines. Ils leurs rappellent combien il est important de boire régulièrement aux points d’eau de la ville. Les associations se battent, l’été, pour obtenir les moyens de distribuer de l’eau aux personnes qui vivent dans la rue. Mais c’est difficile. « Il existe des plans grand froid, mais pas de plans grand chaud, et c’est vraiment dommage. Pour eux, la canicule est pire encore que pour les personnes âgées, qui peuvent rester chez elles et s’abriter. Quand il fait très chaud dehors, même à l’ombre, et qu’on n’a pas les moyens de s’acheter à boire, la chaleur peut-être mortelle en très peu de temps. On meurt plus vite de déshydratation que de froid. Leurs organismes sont très affaiblis. », rappelle Jean-Pierre Vainchtock, président de la Croix-Rouge Française pour le département du Rhône. « Nous doublons les quantités d’eau distribuées aux SDF. Certains ont des addictions à l’alcool, il est évident que l’alcool associé à de fortes  chaleurs, cela peut générer des malaises graves. Si la canicule se poursuit nous demanderons aux mairies des gymnases pour les mettre à l’abri du soleil », poursuit-il.

soutienCertains, sont aussi handicapés par des blessures, ou accompagnés d’enfants en bas âge. Il est plus compliqué, pour ceux là, de se rendre aux fontaines des grandes villes, prises d’assaut. Alors à Paris par exemple, l’association Entraides Citoyennes s’organise pour livrer des bouteilles d’eau aux personnes isolées, et des bombonnes aux familles. « Tout le monde l’ignore, mais il y a plus de décès de SDF l’été que l’hiver », rappelle Sylvie Lhoste, présidente de l’association. « On a l’impression que tout le monde s’en fout ! Cela fait des jours et des jours que nous nous démenons pour qu’il se passe quelque chose. J’appelle les mairies d’arrondissements, elles m’envoient vers la Mairie de Paris… qui me renvoie vers les mairies d’arrondissements ! Je fais le numéro de téléphone pour le plan canicule, on me dit qu’on ne sait pas qui peut m’aider. J’appelle le ministère des Affaires Sociales et de la Santé : on me dit de voir avec les associations ! Je dis que je suis présidente d’association, on me dit que le bureau de l’eau va rappeler… j’attends toujours. Alors nous lançons un appel à la population : si vous voyez, en bas de chez vous ou ailleurs, des SDF au soleil, donnez leur à boire, allez leur acheter une bouteille d’eau, ça coûte quelques dizaines de centimes… s’il vous plait. »

sans_abri« En fait, après un hiver en hypothermie, les SDF se retrouvent brutalement exposés à des chaleurs extrêmes. Leur corps a du mal à suivre. Lorsque la température interne dépasse les 40 degrés, c’est ce qu’on appelle le « coup de chaud », qui peut amener à convulser. On peut en mourir, ou subir de graves séquelles neurologiques », explique Eric Molinié, patron du Samu Social de Paris« C’est difficile pour ceux qui sont à la rue depuis des années, et dont le corps fatigue trop de ce yoyo permanent entre des températures extrêmes. Et c’est difficile aussi pour les nouveaux SDF, les précaires qui viennent de basculer dans la misère, et qui n’ont jamais connu la canicule en vivant dehors. » C’est le cas de Nicolas, 35 ans, à la rue depuis cet été après une perte d’emploi. « Quand j’ai trop chaud je vais dans un supermarché, au rayon frais… c’est la meilleure chose que j’ai trouvée. Mais on se fait chasser tout de suite. »

sanitairesDevant le supermarché, Nicolas demande aux clients de lui acheter une bouteille d’eau. Mais l’été, les passants se montrent moins généreux que l’hiver. « Ils pensent que tout va bien, l’été. L’hiver, avec le froid, ils sont plus solidaires. Et puis il y a la crise. C’est de plus en plus chacun pour soi. On va dans les jardins publics l’après midi, il y a l’ombre des arbres, et des fontaines. Mais il y en a de moins en moins dans les grandes villes. Il faut les chercher, elles sont souvent dans un état lamentable, hyper sales, ou l’eau n’est pas potable. Quand on est chez soi, on ne se rend pas compte de la chance qu’on a d’avoir de l’eau qui coule à volonté, pour se désaltérer ou prendre une douche pour se rafraîchir. Quand on est dans la rue, ça manque plus que tout. C’est pire que la faim. »

hebergementLa plupart dorment à la belle étoile. La fraîcheur y est toute relative, en ce moment les températures ne descendent pas beaucoup la nuit. Pour les plus chanceux, il y a quelques places d’hébergement, mais très peu. La plupart des structures ont fermé avec la fin du plan grand froid, au printemps, fin mars. Alors les places sont chères, très chères. Même si certains centres ont maintenu leurs capacités d’accueil. Comme le Refuge, dans le 13e arrondissement de Paris : des boxes étroits, avec une dizaine de lits superposés par cellule. « C’est bien, je sais que j’ai de la chance, mais la promiscuité, c’est pire en été que l’hiver », explique Jean-Yves, 38 ans. « Les odeurs sont plus difficiles à supporter avec la chaleur, on étouffe. Les autres SDF sont plus agressifs aussi, le chaud ça énerve. » Pourtant, ils sont nombreux à rêver d’une place en foyer. L’été, deux appels sur trois passés au 115 se soldent par un refus d’hébergement. « Pour cette raison, nous avons décidé de maintenir notre capacité d’accueil toute l’année », explique le Directeur du Refuge. « Sinon, on vire à la fin de l’hiver des tas de gens qu’on a passé des mois à soigner, à tenter de réinsérer, qui ont retrouvé une image d’eux même un tout petit peu meilleure que quand on les a trouvés la première fois. Un immense gâchis humain ! »

 

 




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