Concurrence des pays de l’Est : les transporteurs français en colère

15 avril 2013 Transport 70 Comments Marie MEHAULT
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chauffeur_hongrois« Je viens d’avoir un collègue qui a plus de 250 camions, au téléphone, il vient de me dire je veux arrêter, j’en ai marre, je n’y arrive plus. » Ambiance tendue, dans le bureau d’un petit transporteur du Nord-Pas-de-Calais : il a de plus en plus de mal à boucler sa trésorerie. « Il faut limiter la casse donc on n’a pas le choix, on va devoir faire des licenciements, réduire le nombre de véhicules, le nombre de kilomètres, le nombre d’heures des chauffeurs… Cela ne va pas dans le sens du métier, mais il faut bien qu’on s’adapte. » 

poids_lourdLa crise est en cause, mais pas seulement. Le transport subit de plus en plus la concurrence étrangère. Il suffit de se rendre, quelques kilomètres plus loin, sur une aire de parking aux abords de Calais. Des dizaines de camions sont en attente de fret. Tous, sans exception, sont hongrois. La Commission européenne doit publier, d’ici l’été, un nouveau projet de réforme sur la libéralisation du cabotage routier, c’est-à-dire l’autorisation pour un camion de venir charger et décharger sur un territoire étranger. Pour l’instant, seulement 3 transports sont autorisés suite à un trajet international, dans un délai maximal de 7 jours. Mais Siim Kallas, ex-premier ministre estonien et actuel commissaire européen chargé des transports, souhaite supprimer ces limitations, qu’il juge trop strictes.

L’ouverture élargie au cabotage, sur le marché français du transport routier, fait donc partie des nouveaux bâtons dans les roues des transporteurs, déjà confrontés à une conjoncture difficile. Ils ne digèrent pas leur colère, une colère froide, face à ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale et préjudiciable. « C’est une concurrence déloyale puisqu’on n’est pas du tout sur le même plan social ni même juridique, ni fiscal : les transporteurs étrangers travaillent avec des coûts qui sont les leurs, mais dans ce cas qu’ils restent sur leur territoire, au lieu de venir sur le nôtre », s’indigne David, représentant des salariés de son entreprise.

camionCe chauffeur routier depuis 15 ans ne se fait pas d’illusion : « On voit arriver le danger depuis déjà quelques années, mais là ça va être vraiment l’ouverture à tous les pays, avec des autorisations de cabotage qui pourront aller jusqu’à 50 jours d’affilée, et sans trajet international préalable ! Un Roumain, pour 500 ou 700 euros par mois, il fera le même travail que moi, sauf que moi, je gagne 2400 euros par mois. Lui, il peut rouler presque sans s’arrêter pendant 3 semaines, moi je ne peux faire que 208 heures par mois. S’il se fait prendre, son patron paye une amende, alors que le mien, il perd sa licence d’exploitation. Le calcul est vite fait : si le Roumain et moi, on se retrouve  dans le même bateau, c’est moi qui tombe à l’eau !».

Dans les échanges entre pays tiers, les cinq premières places du classement Eurostat sont déjà attribuées aux pavillons polonais, tchèque, slovaque, hongrois et lituanien. Le pavillon français, lui, a perdu 67% de ses parts de marché en quelques années. Des milliers d’entreprises de transport en France risquent donc d’être encore plus sévèrement impactées par une ouverture accrue à la concurrence. Même si une trentaine de grands transporteurs français ont résisté en ouvrant des filiales dans certains pays de l’est, l’emploi français, lui, est cruellement pénalisé.

chauffeur_PLLe problème, c’est donc le manque d’harmonisation fiscale et sociale entre les pays concernés. Une remise à plat que réclame la Fédération Nationale des Transports Routiers depuis quelques années déjà. « On demande à la fois à la France de nous mettre au niveau de concurrence de nos voisins européens, et à l’Europe de faire en sorte que l’ensemble des ressortissants sur l’Union européenne puissent travailler dans les mêmes conditions fiscales et sociales », explique Olivier Arrigault, secrétaire général FNTR-Nord. La FNTR réclame également un accès plus réglementé à la profession de chauffeur routier, et des contrôles plus stricts, et plus fréquents. Les syndicats de plusieurs pays demandent aussi une coordination des services d’inspection, et une base de données européenne.

Un appel relayé par les organisations syndicales mais aussi par un certain nombre de chefs d’entreprises. Les chauffeurs routiers, eux, tiennent à rappeler qu’ils disposent toujours d’un formidable pouvoir de nuisance… au cas où !

 

Marie MEHAULT