Le ras le bol des infirmières 27 mai 2013 Société Marie MEHAULT Temps de lecture : 4 minutesElles sont plus de 28 000 professionnelles en colère, réunies sur les réseaux sociaux : 28 000 infirmières et aides-soignantes, qui se disent désormais « ni bonnes, ni nonnes, ni pigeonnes ». Un slogan « cash », sans pincettes, comme s’il résultait d’une colère contenue depuis trop longtemps. Et c’est vrai que finalement, jusqu’à présent, on les entendait assez peu, ces petites fourmis de la santé publique. Désormais, elles ont décidé de crier haut et fort à quel point elles aiment leur métier…. A quel point elles veulent sauver leur profession. Car si elles remettent tout un tas de choses en question, dans leur quotidien, c’est tout sauf leur vocation. Cette dernière, elle, est toujours bien réelle, intacte, comme une petite flamme qui les fait tenir. Mais elles dénoncent aujourd’hui sans détour les mauvaises conditions de travail des soignants, pour créer une « vague blanche », comme elles disent. « Oui, je veux rejoindre ce mouvement », explique Patricia. « J’en ai marre de bosser dans de telles conditions. J’aime mon boulot et je me sens frustrée de ne pas pouvoir le faire correctement. On bosse avec des humains, pas avec des boîtes de conserve ! Alors oui, ras le bol ! » Le mouvement, qui a donné lieu aujourd’hui à la création d’un collectif, a été initié par une infirmière parisienne, qui souhaite garder l’anonymat. Un mouvement qui regroupe « des infirmières du privé comme du public, libérales ou non, mais aussi des aides-soignantes et des auxiliaires de puériculture ». Un mouvement, qui dénonce « des conditions de travail qui mettent en danger le patient », et réclame une « revalorisation des statuts et des salaires », explique la vice-présidente du mouvement, Sarah Guerlais. Mais avant cela, d’autres ont tenté de réveiller l’opinion publique et les politiques. Comme Céline Bordes qui, en août 2011, avait posté sur internet une lettre également adressée au Président de la République : « Je m’appelle Céline, j’ai 32 ans, et je vous écris pour vous faire partager la colère d’une infirmière, MA colère ». Ainsi commençait sa lettre. Aujourd’hui, Céline Bordes s’avoue surprise de l’écho que sa lettre a trouvé, et du buzz qu’elle a engendré. « J’ai écrit cela sous le coup du découragement et de l’épuisement », confesse-t-elle. « Depuis des années les infirmières en libéral sont augmentées à coup de dix centimes tous les deux ans… Moi, j’ai créé mon cabinet en 2008 dans un petit village, d’abord seule puis avec un associé. Nous étions surchargés de travail. J’ai décidé de faire un CAP d’esthéticienne et d’ouvrir mon salon de beauté, pour avoir une vie de famille et un peu de temps libre…» Régis Ducatez, (car il n’y a pas que des femmes mais aussi de plus en plus d’hommes chez les infirmières), exerce à Lille. Sa journée commence à 6H15 le matin, il enchaine une vingtaine de visite jusqu’à midi. « Mon travail, je le vois comme un marathon quotidien, un rythme indispensable si je veux gagner correctement ma vie. Un infirmier libéral perçoit en moyenne dans les 15 euros bruts de l’heure… Pour un acte infirmier médicalisé, nous prenons environ 3 euros auxquels s’ajoutent environ 2 euros de déplacement. Mais dans la vraie vie, nous devons nous déplacer parfois loin, dans des lieux dits improbables, sur des péniches… La Caisse nous propose par ci par là des augmentations de 2%, nous nous réclamons 15%, évidemment ça leur paraît énorme et ils refusent. » Régis, comme tous ses confrères en libéral, effectue 60 heures de travail par semaine. Et travaille un week-end sur trois. Pourtant, lui n’échangerait sa place pour rien au monde. « Ce métier est une vocation. On a ça dans les tripes. Je suis sûr qu’un jour, on finira par être reconnus. Avec la population vieillissante, la désertification médicale et les établissements de santé de plus en plus surchargés, nous deviendrons de plus en plus indispensables, dans les grandes villes comme en province. » Sitôt un soin achevé, Régis file chez le patient suivant. « Ils sont compréhensifs, ils savent que nous n’avons que peu de temps, nous tissons souvent des liens affectifs très forts avec eux. » « Moi, je trouve qu’il n’est pas assez payé pour ce qu’il fait », renchérit la vieille dame diabétique qu’il est venu soigner. « C’est un métier vraiment prenant et ils ne tombent pas toujours sur des patients gentils ! » Ce que ressentent tous ces infirmiers et infirmières qui témoignent, c’est ce que ressentent des centaines, des milliers de leurs collègues, amoureux de leur métier mais fatigués et anxieux. « Pourquoi notre déplacement nous est-il payé 5 fois moins qu’à un médecin ? » écrivait Céline Bordes dans sa lettre. « L’essence coûte-t-elle plus cher au médecin ? Et ainsi de suite… ». Mais au-delà des questions financières, le collectif « ni bonnes, ni nonnes ni pigeonnes » est aujourd’hui animé par la rage de l’impuissance, face à la dégradation des soins aux patients. Ses membres demandent des postes supplémentaires, la reconnaissance de nouvelles formations, de la pénibilité du travail, et des moyens supplémentaires pour les services. « Au moins, les réseaux sociaux nous permettent d’écrire les choses, d’être un peu plus entendues », soupire Betty, aide-soignante de 39 ans à Bordeaux. « Je ne me reconnais plus. Je suis arrivée dans le métier avec de grandes convictions, et 4 ans après, je m’aperçois qu’en fin de compte, je suis dans la maltraitance ! Certes, je ne frappe pas les gens, mais je n’ai ni le temps ni les moyens de m’occuper d’eux correctement. En 2H30 le matin, je dois m’occuper de 14 bénéficiaires, je ne peux même plus leur faire leur toilette comme il faut. Dans la profession, on est à deux doigts du ‘burn out’. J’ai des collègues arrêtées parce qu’elles ont mal au dos, ou sont en dépression. Il faut absolument de l’argent, pour recruter dans ce secteur, et recruter beaucoup. » Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT