Réforme des retraites : comment mieux accompagner l’emploi des plus de 50 ans

20 décembre 2019 Sourcing 0 Comments Marie MEHAULT
Temps de lecture : 6 minutes

C’est l’un des grands paradoxes de ce fameux système universel voulu par le gouvernement pour sa réforme des retraites : reculer l’âge « pivot », celui auquel on pourra partir en retraite à taux plein, sans subir de malus. A priori, 64 ans, selon le projet en l’état d’Edouard Philippe. Mais ce dernier veut aussi mettre en place un bonus pour ceux qui partiraient plus tard et au-delà de 64 ans. Or, déjà avec notre système actuel, ceux que l’on appelle les « seniors » – alors qu’ils ont à peine 45 ans, parfois, et dans leur grande majorité entre 50 et 59 ans -, ces seniors ont du mal à afficher un taux d’emploi qui dépasse les 52% : un sur deux seulement, occupait en 2019 un poste en CDI à temps plein. Ce qui signifie que, si la réforme des retraites va à son terme, les DRH vont devoir mener une petite révolution copernicienne dans leur vision du salarié âgé de 50 ans et plus, et leur manière de le recruter.

« Cette réforme des retraites voulue par Edouard Philippe et Emmanuel Macron remet clairement en avant la problématique cruciale de l’emploi des seniors sur le marché du travail en France », explique l’Observatoire Sociologique du Changement, à Sciences Po Paris. « Si on veut que cela fonctionne, si on veut que le recul de l’âge pivot soit probant et permette de financer correctement notre système de pensions, il faut accompagner davantage dans notre pays les secondes parties de carrière. Et les DRH ont commencé à le comprendre, ces dernières années, la folie du jeunisme qui a animé nos directeurs et directrices des ressources humaines, tous secteurs d’activités confondues, depuis le début des années 2000, est en train de s’estomper au profit de l’expérience et du savoir faire des plus âgés. Mais c’est un timide revirement qui nécessite d’être beaucoup plus largement accompagné pour redevenir une tendance de fond qui sauverait l’efficacité de la réforme ».

On l’a déjà écrit sur ce blog, tous les experts s’accordent à dire qu’une réforme des retraites réussie ne se fera pas sans un grand plan concomitant en faveur de l’emploi. « Mais ce plan pour faire reculer le chômage doit impérativement comporter un volet spécifiquement dédié aux quinquas et aux jeunes sexagénaires ! », analyse la Dares (Direction des Etudes et Statistiques). « Un rapport sur le sujet doit d’ailleurs être remis au gouvernement en janvier 2020. Car les chiffres sont loin d’être satisfaisants : seulement 52,3% de taux d’emplois des plus de 54 ans en 2019, 72% pour la catégorie 55-59 ans, à peine 31% pour les 60-64 ans. Et c’est en grande partie de la responsabilité des entreprises, qui négligent complètement leurs salariés seniors, soit en ne leur proposant plus d’évolutions de carrière intéressantes et en les poussant vers la sortie, soit en les écartant quasiment complètement de leurs plans de recrutements. On constate aussi que les ruptures conventionnelles sont de plus en plus utilisées par les DRH pour leurs salariés approchant de l’âge de départ à la retraite, une rupture conventionnelle sur 4 concerne un plus de 59 ans ».

Du côté de l’embauche, les DRH et les recruteurs semblent mener leurs politiques avec une vision obsolète du salarié senior : « façon image d’Epinal, le plus de 50 ans est vu par les responsables des ressources humaines comme un râleur, qui coûte cher et sera réfractaire au changement, payé beaucoup pour travailler en traînant des pieds. Or, c’est faux ! Les évolutions de la société, de l’espérance de vie, font qu’aujourd’hui à 50 ans on est jeune ! Si vous regardez du côté de la vie privée des Français, plus d’un tiers des hommes de plus de 50 ans sont de jeunes papas, avec le développement des familles recomposées notamment. Quand on a des enfants de moins de 10 ans et qu’on est âgé de 50 à 60 ans, par exemple, on se sent jeune et dynamique, on a envie d’une vie sociale, d’un bon travail, d’une insertion dans la vie active, de progresser encore dans sa carrière, rien n’est fini ! C’est la fleur de l’âge, aujourd’hui, 50 ans ! », s’amuse un chercheur de l’Observatoire de l’âge. « Je caricature à peine, c’est une réalité, le quinqua n’est plus du tout, aujourd’hui, considéré comme un vieux, même par les plus jeunes. Il est temps que les recruteurs s’en aperçoivent et leurs redonnent toute leur place, car ils apportent une plus-value énorme à une entreprise. Et surtout, il faut cesser de les voir comme de vieux paresseux rentiers de leur poste : à 50 ans, aujourd’hui, un salarié a encore envie de bouger, d’évoluer, de se remettre en question, il est même prêt à revoir son salaire à la baisse pour un poste qui lui plaît plus ».

Hélas, les recruteurs n’en sont pas là, loin s’en faut ! « Le chômage des seniors a doublé depuis 10 ans », estime un rapport récent de la Cour des Comptes. « C’est l’un des très gros bémols du projet du gouvernement de mettre en place un âge pivot à 64 ans. Cela ne peut fonctionner que si on met de gros moyens pour inciter les entreprises et les recruteurs à réviser leur jugement sur les salariés de 50 ans et au-delà ». Selon l’organisme, « le levier le plus efficace sera la formation professionnelle », à la fois pour aider les DRH à retirer leurs œillères, et aussi pour aider les salariés quinquas ou sexagénaires à garder un « haut potentiel d’employabilité », c’est-à-dire à savoir mieux se « vendre » sur le marché du travail et à mettre en avant leurs atouts : l’expérience, le savoir-faire, la capacité à former les nouvelles générations, l’appétence pour les postes de cadres, la disponibilité par rapport aux contraintes de la vie familiale, etc…

« Seulement 3,2% des personnes en recherche d’un travail et qui ont plus de 55 ans ont accès à des formations en France, alors qu’on est à 9% pour le taux de formation moyen de la population active, en général, c’est donc bien trop peu pour leur permettre de rester compétitifs sur le marché du travail », analyse la Fédération de la Formation Professionnelle, qui a déjà largement alerté sur ce déficit. « C’est là aussi aux recruteurs et aux responsables des Ressources Humaines de s’activer à ce niveau là et de ne pas laisser de côté leurs personnels plus âgés, parce qu’ils se privent de ressources et de talents réels, sous prétexte de l’âge, qui, quand on y regarde de près, n’est pas un problème ! Parce qu’il a passé le cap de la cinquantaine, celui que tout le monde regardait comme un salarié brillant, efficace, disponible, impliqué, va brutalement se périmer comme un vulgaire yaourt ? Cela n’a strictement aucun sens, il faut absolument que les mentalités changent ».

D’autre part, les métiers en tension sont de plus en plus nombreux, faute de relève suffisante de la part des jeunes générations. « Le BTP, la logistique, le transport, les pêcheurs, le commerce, les professions médicales…. Autant de branches qui s’affolent, en ce moment, en réalisant que 40% de leurs effectifs seront partis en retraite dans les dix ans qui viennent, alors qu’elles ne parviennent pas à recruter suffisamment pour les remplacer….. l’un des palliatifs réels à cette pénurie de main d’œuvre, c’est de garder les plus âgés encore quelques années, en leur proposant une contrepartie financière ! A 60 ans, dans les métiers pénibles, on est content de partir en retraite, mais il y a aussi beaucoup de seniors qui n’ont pas du tout envie de s’arrêter et seront heureux de prolonger pour quelques années et de former des jeunes », analyse de son côté le Cercle des économistes.

« L’évolution des métiers est rapide aujourd’hui, il est vital que les DRH dans les entreprises et les recruteurs, comme les managers, organisent régulièrement des validations d’acquis pour leurs seniors et des bilans de compétences pour examiner, avec eux, leurs perspectives d’évolution de carrière », estime de son côté un économiste spécialiste des retraites à l’EHESS (Ecole des hautes Etudes en Sciences Sociales). « Il existe justement dans l’arsenal déployé ces dernières années par l’exécutif ce que l’on appelle le Compte Personnel de Formation, mais la plupart des salariés en ignorent l’existence et ne songent pas forcément à l’utiliser : c’est typiquement la responsabilité, dans ce cas, des DRH, d’en informer les seniors qu’ils peuvent recourir à ce compte pour financer des formations qui leur permettront d’envisager la poursuite de leur carrière dans une autre branche, un autre domaine, une autre région, ou en visant des postes plus élevés dans la hiérarchie de leur entreprise. Car on le sait, la formation en entreprise multiplie les chances du salarié de plus de 50 ans de rester compétitif sur le marché du travail et d’envisager sereinement la suite de sa carrière ».

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Marie MEHAULT