Médiator : des victimes victorieuses… Mais financièrement flouées

28 octobre 2015 Santé Marie MEHAULT
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9Il est assis à la table d’un petit bistrot de quartier. Il tremble d’impatience. Son téléphone sonne… C’est son avocat. Au bout de quelques secondes, Michel se lève, fébrile, les yeux écarquillés : il vient d’apprendre la décision du tribunal de Nanterre : les juges ont estimé que les laboratoires Servier ne pouvaient pas ignorer les risques du Médiator… Le tribunal de Nanterre est très clair. Pour la première fois, la justice reconnait la responsabilité civile du fabriquant, c’est une première victoire, 8 ans après la révélation du scandale ! Mais Michel ne savoure pas cette victoire, car son avocat lui indique aussi que les indemnisations attribuées aux victimes sont dérisoires, au regard de leur handicap…. Un goût amer dans la bouche, Michel raconte : « J’ai 72 ans, après 6 années de prise du médiator, j’ai été opéré du cœur, je porte une prothèse cardiaque à vie. Je demandais 847 000 euros, le tribunal m’en accorde 27 000 ». Il se met à pleurer, sa voix chevrote douloureusement. « On a détruit ma vie. C’est ça, le prix de ma vie ? Ils m’ont empoisonné, ils m’ont détruit, ils ont détruit ma famille ! »

 

Jacques Servier

Jacques Servier

Après 5 longues années de procédure, la justice reconnaît donc aujourd’hui la responsabilité civile du laboratoire Servier, pour avoir laissé sur le marché un médicament qu’il savait défectueux. « Que ces laboratoires soient condamnés par une juridiction civile, c’est une grande victoire, malgré tout », estime Maître Martine Verdier, avocate de victimes. Du côté des laboratoires Servier, après cette première décision de justice, le discours évolue très nettement : alors que, jusqu’à présent, ils contestaient formellement la tromperie qui leur était reprochée, ainsi que toute dissimulation aux Autorités de Santé et aux consommateurs, ils prennent désormais « acte de cette décision, car de toute façon, les laboratoires Servier ont toujours dit qu’ils prendraient en charge les conséquences des traitements qui avaient été suivis avec des conséquences dommageables », indique ainsi Maître Nathalie Carrère, avocate des laboratoires Servier.

 

Irene_Frachon_pneumologue

Irène Frachon

Mais pour Irène Frachon, la pneumologue qui a mis à jour le scandale du Médiator, les indemnités accordées aujourd’hui aux plaignants sont minimes, au regard des bénéfices générés par ce médicament pendant des années : « le Médiator a rapporté 25 à 30 millions d’euros par an de bénéfices à ce laboratoire ! Des indemnités aussi faibles, cela revient finalement à encourager d’autres labos à continuer à commercialiser des poisons, puisqu’au final, elles gagneront plus d’argent ainsi, quitte à aller en justice, qu’en les retirant immédiatement du marché. Franchement, pourquoi s’arrêter de commercialiser des poisons puisqu’au final, même en allant au bout des procédures, c’est lucratif ! ».

 

5Fanny, elle, a pris du Mediator de 2007 à 2009. C’est un nutritionniste qui lui a prescrit ce traitement, parce qu’elle avait un peu de diabète, et quelques kilos en trop. Elle souffre aujourd’hui d’une anomalie valvulaire aortique, mais ce n’est pas très grave. « Mais je ne suis jamais tranquille. Mon cardiologue m’a bien dit que cela pouvait évoluer, que la valve pouvait se modifier avec le temps dans sa texture, et je suis soumise à des contrôles régulier jusqu’à la fin de ma vie. Je suis donc en justice, j’ai porté plainte pour tromperie. Et  je partage aujourd’hui le sentiment des autres victimes, qui ont souffert infiniment plus que moi à cause de ce médicament. A la fois très heureuse de leur victoire, et malheureuse de voir qu’on accorde si peu de prix au préjudice moral, physique, financier, personnel qui a été causé ».

 

victimes_mediatorCatherine, comme Fanny, a aussi pris du Médiator pendant deux ans. Elle a eu moins de chance : son cœur n’a pas résisté, elle a du être opérée du cœur. Elle, porte désormais une valve mécanique. « Je ne peux pas marcher plus d’une centaine de mètres sans être essoufflée. C’est atroce. Et j’ai du rester trois semaines en soins intensifs après l’opération. Pendant tout ce temps, allongée sur mon lit d’hôpital, je pensais à Servier, je me disais qu’ils devaient payer pour tout ce qu’ils avaient fait. Je m’estime aujourd’hui encore complètement trompée, et cette victoire n’est qu’une demi-victoire. On ne reconnaît pas nos souffrances à leur juste valeur. Pour Maître Charles Joseph-Oudin, avocat des parties civiles, le jugement n’est pas qu’un demi-soulagement : « L’objectif du procès c’était de démontrer au Tribunal que les victimes avaient été trompées, qu’on leur avait menti sur les propriétés du produit et sur sa dangerosité qu’on connaît depuis les années 2000. Cela nous l’avons réussi. Mais sur le plan des indemnités matérielles, c’est extrêmement décevant ».

 

8Jean-Pierre, lui, a perdu son épouse, décédée après 20 ans de traitement au Médiator. « Ils ont détruit mon amour », pleure-t-il encore aujourd’hui. « Depuis si longtemps, j’attends qu’ils soient punis… Aujourd’hui je ressens de l’amertume, du dégoût. J’ai été impressionné par l’énumération des noms des personnes qui se sont portées parties civiles. Il y avait plus de 600 noms. Cela prouve bien qu’on savait, que tout le monde avait les moyens de savoir. Le docteur Frachon le dit elle-même, elle a réussi à prouver la tromperie avec ses moyens de pneumologue de province, sans être cardiologue, sans être un grand professeur d’université. Si elle l’a pu, c’est que d’autres le pouvaient. Au lieu de cela, tout le monde a continué à prescrire en faisant l’autruche. Et il y a des dizaines de médecins, des centaines peut être qui l’ont fait. Qui ne seront jamais inquiétés ».

 

Les victimes du procès de Nanterre, comme le laboratoire Servier, ont un mois pour faire appel de cette décision.

 

 

Marie MEHAULT