Grève SNCF : report massif des passagers vers les bus, les entreprises recrutent !

11 avril 2018 Emploi Marie MEHAULT
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Des quais de gare où l’on a parfois du mal à se faire une place, et des trains bondés : pour une immense majorité des usagers des transports, qu’ils soutiennent ou non le mouvement des cheminots, les grèves à la SNCF sont souvent le synonyme d’une vraie galère au quotidien : retards au travail, quand on parvient à monter dans un train, conditions de trajets infernales, incertitude permanente… Alors, de plus en plus, les passagers se tournent massivement vers le transport en autocar : « on a peur que le train ne fonctionne pas bien, et on est attendus chez nos enfants pour garder nos petits enfants, car nos enfants sont eux aussi pénalisés par la grève, leur nounou ne peut plus venir travailler ! Bref, du coup pour être sûrs d’arriver à destination, on a préféré prendre Ouibus », explique une dame aux côtés de son mari, avant de monter à bord d’un car à destination de Lille. « Le bus est une super solution, parce que la SNCF notamment possède sa propre compagnie, et du coup elle se met en quatre avec ses chauffeurs de bus pour compenser les lacunes sur les trains. Le service est très fiable, moins cher, et rassurant. Le seul souci c’est pour sortir des grandes agglomérations, comme il y a la grève SNCF les gens prennent tous leur voiture et il y a beaucoup de bouchons…. Y compris pour les bus », raconte un jeune cadre qui, lui, compte rallier Nantes par ce moyen.

 

 

Pour la compagnie de la SNCF, Ouibus, mais aussi pour toutes les autres sociétés de transport par car, nombreuses depuis la mise en place de la fameuse « loi Macron », en août 2015, le mouvement de grève est même plutôt une bonne affaire. En clair, le malheur des uns fait le bonheur des autres : « Depuis le début du mouvement social des cheminots, on est facilement à 50% de chiffre d’affaires en plus, et nos bus sont tous remplis à près de 90% », estime Thierry Muller, Directeur des Longues Distances au sein du groupe Groupe Lacroix, un acteur majeur du secteur en Ile de France, avec plus de 700 véhicules. Une tendance qui devrait s’installer puisque le débrayage des cheminots est prévu pour être rampant, c’est-à-dire deux jours par semaine pendant trois mois, peut-être même au-delà du mois de juin selon les dernières déclarations des syndicats. Du côté de Flixbus, on estime que l’activité a augmenté de plus de 40%…. bref, ça roule ! « La demande a commencé à augmenter très nettement à partir de la publication des mesures préconisées par le fameux rapport Spinetta sur la réforme de la SNCF, mais c’est véritablement avec le début des grèves qu’on a vu un vrai boom du côté des réservations en ligne », explique Yvan Lefranc-Morin, directeur général France de Flixbus. « Du simple au double, pour nous aussi », confirme Isilines. Eurolines n’est pas en reste.

 

A tel point que certaines entreprises, plutôt spécialisées dans le covoiturage, lui aussi fortement en hausse dans les périodes de grèves, y ont vu l’occasion d’étoffer leur activité avec le bus : Blablacar, par exemple, a décidé de profiter de la grève pour se lancer dans les trajets en bus. « Nous avions tellement de demandes de passagers sur la plateforme que nous avons lancé un appel à conducteurs de bus, et le résultat a dépassé nos espérances », explique  Philippe Cayrol, Chargé des partenariats BlaBlaCar. « Comme les axes sont saturés, puisque les particuliers prennent tous leurs voitures pour ne pas prendre le train, on s’est dit que pour aider plus de monde à voyager, on allait faire du covoiturage… par bus ! ». Comme pour un covoiturage classique, le prix du voyage revient entre 7 et quatorze euros par voyageur. Qui trouvent l’idée tout simplement géniale : « J’ai réservé il y a moins de deux heures et voilà, je monte dans le bus », s’enthousiasme un utilisateur de la plateforme gare de Bercy, à Paris, en partance pour Tours. L’entreprise, forte d’un réseau de près de 15 millions d’utilisateurs en France, a donc installé trois lignes de bus, entre Paris et Lille, Paris et Rouen, et Paris et Rennes…. Pendant ce temps, elle a par ailleurs multiplié par 3 le nombre de trajets effectués en covoiturage depuis le début du mouvement social dans le ferroviaire. Les trois lignes de bus que Blablacar ouvre sont sur les axes les plus prisés des voyageurs. Blablacar pense même ouvrir d’autres lignes rapidement pour profiter de la tendance, pendant les mois qui viennent, et voyant que la détermination des grévistes du rail ne faiblit pas.

 

Résultat : le recrutement de chauffeurs est en surchauffe, en ce moment, du côté de toutes ces compagnies. Pour répondre à la demande, les embauches de conducteurs en intérim – voire en CDD – ont-elles aussi pris leur envol, certaines lignes ayant même du être doublées par les compagnies pour pouvoir accueillir les afflux de voyageurs. D’autres, éphémères, ont été créées pour répondre à la demande sur certaines destinations d’ordinaire moins rentables pour le transport par bus, car très bien desservies par les trains… sauf que le contexte change tout ! Les personnels ont donc été multiplié par deux, voire deux et demi, au sein des entreprises du secteur : « c’est important pour nous de répondre présent en ce moment sur cette problématique, car nos voyageurs sont majoritairement des jeunes ou des retraités en temps normal. Or, là, nous touchons une nouvelle clientèle, celle des actifs, entre 30 et 55 ans, et c’est un potentiel énorme. Si nous parvenons à leur montrer que c’est une solution avantageuse économiquement, mais aussi très confortable et agréable, peut-être que certains nous resterons et préférerons définitivement voyager par ce moyen là », explique le DRH de l’une d’elles. « D’ailleurs, si le gouvernement va au bout de sa réforme et supprime un certains nombre de lignes de trains, nous nous y substituerons pour récupérer le trafic voyageurs. Et dans ce cas, mais aussi tout simplement si nous réussissons à capter définitivement une partie des passagers venus à nous de manière conjoncturelle, à cause de la grève SNCF, il est fort probable qu’une partie de nos intérimaires et CDD, ou de nos temps partiels, se verront proposer de temps pleins en CDI ».

 

 

Marie MEHAULT