Ex-otages : le rôle crucial des thérapeutes 23 avril 2014 Santé Marie MEHAULT Temps de lecture : 7 minutesEn quelques heures, ils sont passés d’un milieu hostile et de la captivité la plus totale, aux avions et aux salons présidentiels, mitraillés par des centaines d’objectifs. La descente sur le tarmac de Villacoublay : une décharge émotionnelle pour les ex-otages, Nicolas Hénin, Didier François, Pierre Tores et Edouard Elias… mais aussi, pour tous les autres avant eux. C’est l’euphorie, la liberté soudaine, un changement radical de mode de vie après dix mois de détention… Selon toutes les études réalisées jusqu’à ce jour, plus de la moitié des otages connaissent à leur libération des troubles psychologiques plus ou moins importants. D’où l’importance, cruciale, d’une prise en charge immédiate et adaptée par des psychologues et des psychiatres. Pour les ex otages, ces professionnels de santé jouent un rôle déterminant sur le chemin de la reconstruction. Après ce qui leur a paru une éternité, d’attente, d’immobilisation, le temps court soudain trop vite, ils ne peuvent pas tout verbaliser. Ils sont passés plusieurs fois à côté de la mort, certains, comme Daniel Larribe, Thierry Dol, Ingrid Betancourt ou Nicolas Hénin, ont tenté de s’achapper, avec une prise de risque maximale. Captifs par binômes ou par petits groupes, ils ont noué entre eux des liens profonds… Qu’il ne faut pas vouloir distendre trop vite, même si pour les familles c’est difficiles, parce qu’elles ont envie de retrouver leur proche si longtemps perdu de vue, en exclusivité. « J’observe qu’ils ont besoin de rester ensemble, de se parler, de se retrouver entre eux régulièrement », racontait fin octobre 2013 la maman de Pierre Legrand, alors tout juste libéré après 3 ans de captivité au Sahel (Mali), enlevé avec trois autres hommes sur le site minier d’un grand groupe spécialisé dans le nucléaire. « La sortie d’une prise d’otage se fait dans un état de tension nerveuse importante, ceci d’autant plus que la prise d’otages a été longue », explique le docteur Franck Garden-Brèche, urgentiste et victimologue, auteur d’une étude approfondie sur le sujet. Cela peut sembler paradoxal, mais « les otages voient s’évanouir tout ce qu’ils avaient eu tant de mal à construire jusque là : de nouvelles relations amicales, un certain degré d’autarcie du groupe dans cette vie quotidienne étrange où tous dépendent de chacun, un peu comme lors d’un naufrage sur une île déserte, un changement dans les valeurs profondes admises jusqu’à ce jour ». Les bribes de récits livrés par tous les ex-otages à leurs proches ou aux professionnels de santé étudiant la question de « l’après » psychologique, racontent sans varier la difficulté à se remettre d’un quotidien aussi rude que monotone. Très peu de nourriture, distribuée de manière aléatoire, la déshydratation, et la peur permanente. Pour affronter tout cela, les otages ont du s’adapter mentalement pendant leur captivité, de plusieurs manières différentes : certains sont dans le déni, et font le choix du sommeil ou de la prostration pour échapper à cette situation dont ils n’ont pas le contrôle; d’autres, vont aller rechercher des occupations qui peuvent rapidement virer au trouble obsessionnel compulsif (TOC) : examen minutieux de la pièce où ils sont enfermés, des visages de chacun, examen de son propre passé, sur les valeurs acquises depuis l’enfance… Pour presque tous, il y a la culpabilité de s’être mis dans cette situation et l’inquiétude pour l’entourage qui attend. Et puis, il y a la colère. Une colère très particulière, qui n’appartient qu’à ceux qui ont vécu une prise d’otage : « Elle est légitime, cette colère : on a essayé de vous détruire, on vous a utilisé comme monnaie d’échange ou de chantage… notre rôle, c’est d’aider les ex-otages à utiliser cette colère pour se reconstruire, afin qu’elle ne les détruise pas au contraire », explique le docteur Gérard Lopez, psychiatre et président de l’Institut de Victimologie. Pour se reconstruire, chacun va adopter un comportement différent. Ainsi, on peut observer l’agacement d’Edouard Elias, le jeune photographe libéré pendant le week-end pascal, qui fuit les médias et dit « ne surtout pas vouloir être considéré comme un otage toute sa vie, mais vouloir passer à autre chose rapidement pour redevenir un simple photographe », l’exaltation de Didier François, grand reporter à Europe 1, le premier à avoir pris la parole sur le tarmac, ou encore la boulimie du journaliste Nicolas Hénin, qui raconte avoir dit au psychiatre : « si je m’écoutais, j’aurais devant moi mon ordinateur pour traiter les 2500 mails que j’ai reçus, la pile de journaux pour faire un peu de rattrapage, et ma famille et mes amis en file indienne pour pouvoir tous les voir… le médecin m’a répondu que c’était impossible ! » Le docteur Lopez le confirme : « Il n’y a pas de règle générale ». L’important, étant de ne pas occulter les souvenirs, de ne pas mettre de barrières aux flashs qui vont ressurgir dans les jours et les mois qui suivent la libération. De ne pas hésiter à mettre des mots sur la façon dont chacun va revivre les choses. « Le magnétoscope va se déclencher, ils vont voir des images, faire des cauchemars, avoir des périodes d’amnésie, d’évitements… ceci est normal, ceci doit passer, et surtout, on peut le soigner », insiste le médecin. « Les ex-otages vont se reconstruire en acceptant une thérapie, une indemnisation, un reclassement professionnel etc… ». Il y a aussi la gestion psychologique du bruit, qui nécessite un réel accompagnement médical et psychologique : pendant leur captivité, le seul lien des otages avec le monde extérieur a souvent été la radio, en de très rares occasions. Pendant des jours, des mois, des années, ils se sont tus, enfermés dans un silence contraint. Et les voilà soudain qui doivent prendre la parole, devant des caméras, des forêts de micros, sur des plateaux de télévision. Le retour est une joie, mais une joie bruyante, qui en fait aussi une épreuve. « Il est difficile de mesurer les traumatismes subits par un otage. Souvent, ils rentrent avec une réelle difficulté à communiquer », analyse Franck Garden-Brèche. « Ils ne nous disent pas tout sur les conditions de leur captivité, pour nous préserver, mais dans le peu qu’ils laissent échapper, et dans leurs yeux aussi, on voit bien que cela a été atroce. Du coup, ils en gardent trop pour eux. Ils ne s’en libèrent pas pour ne pas nous traumatiser », analysait un proche de Thierry Dol, peu après sa libération fin octobre 2013. Dès sa libération, c’est la règle, chaque otage est donc longuement soumis à un entretien psychologique, en plus des autres examens médicaux. Il faut à tout prix faire émerger émotions, et ressentis. « Il y a une corrélation positive entre une prise en charge précoce, et le bien être ultérieur des ex otages », explique Franck Garden-Brèche dans son étude intitulée « Adaptation psychologique aux prises d’otages ». Mais souvent, la reconstruction psychologique est un travail au long cours. « Souvent les personnes vont être marquées durablement par certains moments, certaines images, et développer des phobies », raconte Stéphane Gicquel, secrétaire général de SOS Catastrophes et Terrorisme. Parfois, certains ont été capturés avec leurs enfants. Là, le suivi psychologique est encore plus délicat. Car le fait d’avoir été en famille est soit bénéfique, soit destructeur pour le psychisme des adultes. Le père et la mère peuvent oublier de penser à leur propre reconstruction, pour se focaliser sur celle de leurs enfants, rongés par la culpabilité de les avoir entraînés dans cette situation. Il peut y avoir le sentiment d’avoir failli à son rôle protecteur de parent, qui entraîne souvent sur le terrain de la dépression. Mais parfois, cela peut être le contraire. Miraculeusement, le fait d’être restés groupés, de ne pas avoir été séparés, est vécu comme une protection contre le traumatisme. « Nos enfant s’en sortent très bien. Ils n’ont pas pleuré, pas fait de cauchemars », expliquait, souriante, Albane Moulin-Fournier, otage pendant deux mois au Nigéria avec son mari et ses quatre enfants. « On a eu des moments très durs physiquement, mais la présence des enfants nous a empêché de lâcher, on a tenu pour eux ». Il faut enfin soigner le traumatisme parfois dû au fait que les otages ont été confrontés à des ravisseurs à la personnalité particulière : « Ce sont des hommes vénérés par leurs troupes, capables d’envoyer allégrement quelqu’un à la mort », explique ainsi Yasmina Khadra, écrivain et ancien officier de l’armée algérienne, en charge de la lutte contre le terrorisme et qui a traqué pendant dix ans Mokhtar Belmokthar, preneur d’otages tristement célèbre. « Quand on vit en captivité, il faut demander la permission pour tout », racontait aussi Ingrid Betancourt pour tenter de décrire le sentiment de déshumanisation d’un otage : « Il faut demander la permission pour parler, pour manger, pour boire, pour se lever, pour s’asseoir, pour se coucher, pour dormir, pour se réveiller, pour tout… ». Ce sentiment là laissera souvent des séquelles durables, qu’il faut faire soigner : « Les otages dépendaient entièrement de leurs ravisseurs, il s’agit ici d’une régression au stade infantile (…) », analyse encore Franck Garden-Brèche. Et il arrive que cette soumission entraîne l’otage petit à petit vers une pathologie dite « syndrome de Stockholm » : une complicité inconsciente, une compréhension mutuelle, et parfois même une sympathie envers leurs ravisseurs. « Tous les otages se souviendront de ce moment où, pour ne pas craquer complètement, ils ont dû tenter de reconstruire à tout prix un environnement moins hostile, même s’ils devaient pour cela en arriver à se rapprocher des ravisseurs. C’est une démarche éprouvante pour l’ego. » Il y a l’épreuve de la captivité, l’épreuve de la libération… il y a enfin l’épreuve du retour à l’anonymat, même si certains ex-otages comme Edouard Elias le souhaitent ardemment. Une fois que les projecteurs se sont éteints, la personne n’est plus ni otage, ni héros de l’actualité… il devient encore plus important de retrouver les repères de la vie antérieure. Certains y arrivent très bien… d’autres, pas du tout, et cela peut créer de graves déséquilibres psychologiques. Il arrive même qu’un ex-otage continue longtemps de se croire encore en captivité, malgré tous les efforts de son entourage. La prise en charge psychologique, après une telle épreuve, doit à la fois être immédiate et permanente. La guérison est souvent un travail au très long cours. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT