Dépression, pulsions morbides : la difficile prise en charge des patients

13 mai 2014 Santé Marie MEHAULT
Temps de lecture : 6 minutes

psychologueAujourd’hui, de plus en plus de Français souffrent de dépression… et de plus en plus de soignants y sont donc directement confrontés. Pourtant, la dépression reste une maladie difficile à appréhender et à diagnostiquer, car personne, quels que soient son âge, son sexe, sa situation sociale, sa culture d’origine ou son état de santé, n’est à l’abri d’une dépression. Surtout, la dépression est une maladie liée d’abord à un état d’esprit. Du coup, le vécu des personnes souffrant de cette maladie est extrêmement complexe et douloureux. L’incompréhension, voire l’exaspération de l’entourage, fréquentes, n’aident ni les patients ni les soignants à vaincre la spirale de la dépression.

 

patientLa prise en charge de cette maladie laisse donc encore un très grand nombre de personnes démunies. Dans les équipes médicales, en particulier, les infirmiers et les aides-soignants sont en première ligne. Même les médecins ont encore du mal à se mettre d’accord pour définir des protocoles de soins face a la dépression. Parmi les chercheurs et les professionnels de la santé mentale, il y a ainsi peu de consensus pour définir et expliquer ce mal, entre théories biologiques, psychologiques ou encore sociales. Alors au quotidien, sur le terrain, soigner la dépression et surtout l’accompagner est un défi chaque jour renouvelé pour les équipes médicales… parce que, s’il est difficile de vivre la dépression de l’intérieur, il est aussi très compliqué de l’affronter sans cesse dans son travail de soins : des patients mutiques, qui ne parlent jamais, souvent inertes et comme accablés devant ce qui leur arrive… Ou encore, des personnes gênées en permanence, honteuses de traverser une dépression et de réaliser des «contre-performances » par rapport à un idéal de réussite sociale et professionnelle.

 

 

soutien« Combien de fois ai-je entendu des patients dépressifs dire « qu’ils ne se reconnaissaient plus », que « ce n’était pas eux », ou ne pas comprendre ce qui leur arrivait », analyse Babeth, cadre de santé dans un service de psychiatrie au Centre Hospitalier Régional de Lens. « Ils ont l’impression de ne pas être compris, de passer pour des profiteurs payés à ne rien faire par la sécurité sociale ! Leur désarroi est souvent aggravé par une inquiétude, et même une vraie panique, à l’idée d’être happé dans un processus de mort. Pour les soignants, tous ces états successifs ou simultanés sont difficiles à canaliser, le patient dépressif nous met souvent lui-même dans un état d’irritabilité qui devient chronique, un sentiment d’impuissance souvent particulièrement fort. C’est d’autant plus difficile à vivre pour nous que la plupart du temps, l’entourage est dans le déni, lui-même est démuni et donc il est très compliqué d’aborder les choses.»

 

depressionAutre cas de figure auquel les soignants peuvent être confrontés chez le sujet dépressif : la tentative de suicide. En général, même avec de l’expérience, une tentative de suicide est un passage à l’acte d’une extrême violence pour les soignants. Il existe en effet une interaction constante entre le malade et ceux qui ont pris en charge sa guérison. Le soignant va donc, à chaque fois, être renvoyé à sa propre souffrance psychique par l’acte de son patient. La tentative de suicide remet aussi fréquemment en cause la thérapie, et les efforts de l’équipe médicale pour guérir la dépression. Les soignants confrontés à une tentative de suicide ou à un suicide réussi vont souvent culpabiliser, se remettre en question, se sentir inutiles. « Il va donc falloir pour les soignants composer avec cette quantité violente d’énergie négative, et se protéger », explique un spécialiste de l’Organisation Mondiale de la Santé. « Il y a effraction des limites de l’appareil psychique du soignant sous l’effet de la violence pulsionnelle dégagée par le geste du patient. Cela peut constituer par ricochet un traumatisme chez le soignant. S’il éprouve à ce moment-là le sentiment de ne pas pouvoir lui-même surmonter le geste de son patient, le soignant va être dans la sidération. Dans l’incapacité de penser, d’exprimer ses émotions, et il devra ensuite vivre avec la souffrance et la frustration qu’engendre ce silence».

 

souffranceParfois dans la dépression, et plus particulièrement dans la tentative de suicide, le patient va se considérer comme seul possesseur de sa maladie, de son expérience, de son geste. Il estime que cela n’appartient qu’à lui. Il refuse de donner la moindre explication. « Dans ce cas, le soignant est contraint de subir le secret du patient. Il est pris en otage par son silence. Il est placé dans une situation d’attente, d’expectative qui peut elle-même prendre une tonalité anxio-dépressive induite par la dépression du patient », poursuit le médecin de l’OMS.

 

« Dans ce cas, le soignant et le patient fonctionnent en miroir. Le soignant est lui-même renvoyé, par un processus identificatoire, à sa propre souffrance psychique, et décrit souvent le sentiment de ne pas pouvoir soigner correctement le patient car il a l’impression de ne pas parvenir à répondre correctement à ses demandes. »

 

infirmierDernier point qu’il faut évoquer lorsqu’un soignant est confronté à un patient dépressif et suicidaire : le sentiment d’acharnement thérapeutique. « Redonner vie à quelqu’un qui a souhaité mourir dans une extrême violence, va parfois générer chez le soignant un fort sentiment de culpabilité. Il va se voir alors comme un persécuteur, un sadique, un agresseur ». La prise en charge de la dépression est donc loin, très loin d’être aisée pour les personnels de santé. Elle nécessite des aménagements particuliers du temps de travail, et une adaptation des soignants à ces patients difficiles. Il y a une nécessité absolue de les aider à comprendre comment entrer en contact avec ces patients pour les aider au mieux. « Les soignants ont besoin d’être formés pour savoir comment établir un lien et une relation de confiance, en adoptant une attitude bienveillante d’écoute, de dialogue et de soins », analysent trois chercheurs en psychiatrie dans la revue L’information Psychiatrique. L’évaluation de l’urgence et de la dangerosité d’un malade sont aussi des connaissances indispensables chez les soignants confrontés à un patient dépressif, voire suicidaire. Les soignants doivent savoir prendre en compte le niveau de souffrance, mais aussi le degré d’intentionnalité ou d’impulsivité du patient, ou encore la qualité du soutien de l’entourage proche.

 

suivi« En dehors des lieux d’hospitalisation, et avant l’intervention du psychiatre, le médecin traitant mais aussi les travailleurs sociaux peuvent se révéler une aide précieuse », estime l’ANAES (Agence Nationale d’Evaluation et d’Accréditation en Santé). « Ils peuvent orienter le patient vers une structure de soins adaptée. Les services d’urgence sont aussi les lieux les plus fréquents du premier accueil d’un patient se découvrant dépressif. » D’où l’importance de former aussi ces personnels là à la problématique très spécifique de la dépression : aider le sujet à verbaliser ses sentiments ou à expliquer un acte suicidaire, évaluer le risque à court terme de récidive de la tentative de suicide, déterminer en fonction un suivi hospitalier ou un suivi ambulatoire… surtout, ces personnels là aussi ont besoin d’apprendre à se protéger eux-mêmes face à des formes de souffrance aiguë, afin de ne pas se laisser enfermer dans la problématique de leurs patients.

 

Chaque année en France, 1 million de personnes sont atteintes de dépression. Et selon les statistiques (sources INPES), un quart des Français de 15 à 75 ans vivront une dépression au cours de leur vie. La dépression est la première cause de suicide dans notre pays : 70 % des personnes qui décèdent par suicide souffraient de dépression.

 

 

Marie MEHAULT