De nombreux routiers parmi les victimes à Gênes : et en France, quel est l’état du réseau ?

20 août 2018 Economie Marie MEHAULT
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Le drame survenu dans la ville italienne pose question sur les infrastructures du réseau routier en France, et sur leur sécurité : sommes nous aussi concernés par la dangerosité de certains ouvrages devenus vétustes ou abîmés par une sur-utilisation ? Les routiers, en première ligne, doivent-ils s’inquiéter de la survenue d’une catastrophe identique, quelque part, un jour, sur les routes de l’hexagone ? Jouent-ils en travaillant à la grande loterie ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons consulté un rapport sur la question, justement remis aux ministres concernés le mois dernier, en juillet 2018. Et il n’est pas franchement rassurant, puisqu’il pointe du doigt une certaine urgence à réhabiliter certaines de ces infrastructures de la route empruntées chaque jour par des milliers de camions.

 

Puisque c’est un pont qui s’est effondré à Gênes, causant la mort d’au moins une quarantaine de personnes dont de nombreux routiers – le pont était un accès au port incontournable donc extrêmement fréquenté par les acteurs de la logistique et du transport – , regardons pour commencer ce que dit cette enquête publique sur l’état des 200 000 ponts routiers du pays, mais aussi des 50 000 ponts dédiés à des voies ferrées et empruntés chaque jour par des centaines de trains : majoritairement construits à base de trois matériaux altérables et oxydables, métal, béton et maçonneries, ils ne peuvent pas ne pas vieillir avec les années, mais aussi les intempéries et le passage quotidien de millions de véhicules. « Ce sont des matériaux qui ne peuvent pas résister aussi bien 20 ans, 50 ans après, qu’au début de leur construction, parce qu’il y a corrosion du métal et éclatement des maçonneries et du béton, il est donc indispensable que les pouvoirs publics, les collectivités ou les groupes privés qui gèrent l’usage de ces ponts en assurent parfaitement l’entretien et les réparations nécessaires », explique un enseignant de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. « Aujourd’hui, les experts s’accordent à dire qu’un tiers des ponts en France ne sont pas suffisamment entretenus et modernisés et qu’ils sont en mauvais état, cela va des petites dégradations aux graves dégradations structurelles, et on considère que 5 à 7% de ces ouvrages pourraient menacer de s’effondrer, cela concerne un petit millier de ponts tout de même, il faudrait les fermer et les réparer, faute d’être définitivement hors service d’ici à peine 20 ans».

 

Côté routes, les experts considèrent que l’Etat français ne consacre pas suffisamment de budgets à l’entretien des voies de circulation dont il a la responsabilité (les autres étant concédés à des sociétés privées) : moins d’un milliard d’euros dépensés chaque année pour l’ensemble du réseau national ! « C’est évidemment trop peu, il faudrait le double pour assurer correctement la mission de service public qui garantirait une sécurité optimale sur les routes françaises », analyse l’Institut des Routes, des Rues et des Infrastructures pour la Mobilité. « On estime de surcroît que ce rapport remis en juillet ne liste pas tous les ouvrages jugés dangereux car il se focalise sur les plus connus et surveillés, mais d’autres ne sont jamais surveillés, ce qui empêche de facto des comparaisons à intervalles régulier de l’état des matériaux et des constructions. Il s’est aussi concentré sur les ponts et les routes non concédés, mais il ne faut pas croire que les sociétés privées injectent systématiquement l’argent nécessaire à l’entretien des routes et des ponts qu’elles gèrent, il y a aussi des manquements mais c’est moins facile à vérifier. Même si on sait que les ponts les plus fréquentés comme le pont de Normandie, celui de l’île de Ré ou le viaduc de Millau sont bien surveillés et entretenus, ce qui est tout de même rassurant ». Selon les spécialistes, les ouvrages les plus dangereux et ceux qu’il faut absolument surveiller et réparer d’urgence sont les ponts construits juste après guerre, fin des années 1940 et pendant les vingt années qui ont suivi : elles sont aujourd’hui clairement vétustes et ne devraient plus être utilisées, sauf restauration d’envergure.

 

Après la catastrophe italienne, la ministre des Transports Elisabeth Borne a déclaré qu’elle souhaitait mettre l’accélérateur sur un grand plan dédié aux infrastructures et programmer, le plus rapidement possible après la rentrée, des dépenses à hauteur d’un milliard d’euros par an pour l’amélioration du réseau routier français. Mais cela ne suffira pas : il faudrait aussi davantage organiser la surveillance des ouvrages ouverts au public mais concédés à des sociétés privées : on sait par exemple que la société gestionnaire du pont de Gênes qui s’est écroulé, vient de racheter le groupe Abertis, qui possède la Sanef, gestionnaires d’une route sur 5 en France. Atlantia, gestionnaire du pont de Gênes, possède aussi depuis peu 3 aéroports dans le sud de la France, et depuis mars 2018 elle est actionnaire majoritaire de la société d’exploitation du tunnel sous la Manche.

 

 

Marie MEHAULT