Dans la peau d’un marinier 22 avril 2013 Métier Marie MEHAULT Temps de lecture : 4 minutesLa France a le premier réseau navigable d’Europe. Transporteur fluvial, c’est un métier rude, que l’on dit souvent en voie de disparition. Au début du 20e siècle, le pays comptait 45 000 mariniers soudés par un même esprit : l’amour de la liberté. A bord de son bateau, sur la Saône, Luc, 35 ans, vogue toujours avec cette philosophie là. Aujourd’hui, il transporte plus de 300 tonnes de sable pour la construction et le bâtiment. « Il faut être patient, la navigation ça ne va pas vite. Dans ce métier si vous n’êtes pas patient, il vaut mieux conduire un camion ! » La route, le train, l’avion…. L’activité fret par péniche a été sévèrement concurrencée par les autres moyens de transport, ces dernières années. La crise économique n’a rien arrangé. Luc gagne tout juste l’équivalent du SMIC. « Il y a très peu de jeunes qui veulent faire notre métier parce qu’on fait beaucoup d’heures. Moi je préfère faire ça que d’aller faire 8 heures en usine, on a une qualité de vie extraordinaire. On est dans la nature, on voyage tout doucement, on a le temps de découvrir… C’est un beau métier ». Luc vit dans 19 mètres carrés, aménagés de façon plutôt « cosy » pour une garçonnière de marin ! Ce grand timide aime sa solitude, et ne se voit pas vivre ailleurs. « Ici on vit lentement, dehors le monde va trop vite. Pour moi, c’est une souffrance je me sens agressé. Ici je suis bien. C’est un métier de méditation. » Après le déchargement de ses 300 tonnes de sable, près du port de Chalon, Luc nettoie les cales à grandes eaux, et prépare la péniche en vue du passage des écluses. Une quarantaine, avant d’arriver à sa nouvelle destination, où il refera son chargement, avant de repartir ailleurs. Plus de pilotage au gouvernail, mais une navigation en mode automatique partiel. « Vous voyez, je ne touche rien, le bateau se conduit tout seul, je lui indique juste les directions, s’il faut aller tout droit ou tourner, lentement ou pas ». Automatiques aussi, les écluses, commandées à distances par un boitier électronique. « Autrefois il y avait un éclusier par écluse, on taillait une petite bavette à chaque fois. Tout ça c’est fini aujourd’hui. Mais même si cela fait trente ans qu’on dit que le métier est en voie de disparition, on est toujours là. L’industrie ne peut pas se passer de nous. Tout ne peut pas se faire par la route ou les airs. » Et il n’a pas tort : toutes les études de prospective logistique prédisent que le fluvial va connaître un nouvel essor, avec le développement des préoccupations écologiques, la saturation des réseaux routiers, la hausse du coût du kérosène et de l’essence. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises se tournent à nouveau vers ce mode de transport. Cela permet d’éviter la circulation de plusieurs dizaines de milliers de camions sur les routes. « Je transporte chaque semaine 400 tonnes de journaux et de magazines de Gennevilliers et Nanterre, jusque Rouen, raconte Jean-Pierre, un autre batelier. L’acheminement prend treize heures, ça permet de supprimer 1000 camions par an ! Bientôt, ça devrait concerner l’ensemble des centres de tri du client. Le développement durable passe par le fluvial, c’est moi qui vous le dis ! » Si les trafics intérieurs et les importations sont en baisse, les exportations ne cessent d’augmenter. Les engrais, la chimie, les charbons et les conteneurs sont les produits les plus transportés. Le bassin Nord-Pas-de-Calais et la Seine ont le vent en poupe… et là bas, on attend impatiemment la concrétisation du projet Canal Seine-Nord Europe, qui n’en finit pas de prendre du retard. « Ici sur le Nord de la France, très peu de ponts sont à hauteur pour transporter plusieurs tranches de conteneurs, avec le nouveau canal ils seront mis à hauteur », espère Jean-Pierre. Le percement d’une voie d’eau artificielle de 106 kilomètres est aussi prévu. Ce canal à grand gabarit nécessitera la construction de 7 écluses et 3 ponts-canaux. Il prévoit aussi l’aménagement de quatre plateformes d’activité. Résultat : des milliers d’emplois à la clé, environ 25 000, une bouffée d’oxygène pour ces secteurs du Nord, du Pas-de-Calais, de la Picardie et de la région parisienne. 12 000 tonnes de marchandises sont déjà transportées par ces voies d’eau, soit une augmentation de 80% entre 2004 et 2012. Le canal Seine-Nord pourrait booster ce trafic de manière encore plus spectaculaire, grâce à son nouveau rayonnement européen. « Ce sera l’équipement du siècle », disent les bateliers. Mardi 16 avril, le ministre des Transports Frédéric Cuvillier a annoncé plusieurs mesures pour soutenir le développement du transport fluvial : 15 millions d’euros pour permettre aux bateliers d’accélérer le renouvellement de la flotte pour mieux respecter l’environnement ; un plan d’aide au report modal de 10 millions d’euros, soutenu par la Commission européenne ; et enfin, la création d’un bac professionnel « profession fluviale », dont les premières classes ouvriront dès le mois de septembre 2013 à Montélimar, Schiltigheim et Tremblay-sur-Mauldre. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT