Pagaille du RER A : faut-il supprimer le droit de retrait dans les transports publics ?

2 février 2015 Transport Marie MEHAULT
Temps de lecture : 6 minutes

usagersIls étaient un million, un million d’usagers du RER A, déboussolés et pris de court, ce jeudi 29 janvier 2015, par une « grève spontanée » des conducteurs de train du RER A, sur toute la ligne, depuis la première heure de service jusqu’à la dernière. En cause : un passager qui se serait retrouvé avec une main coincée dans les portes du train dans lequel il était monté ; furieux, lorsque le conducteur du RER est descendu de sa cabine pour venir le décoincer, il lui a brisé le nez d’un coup de tête avant de s’enfuir. Une « agression caractérisée » pour tous les collègues du malheureux conducteurs, qui, dans un bel ensemble, ont décidé immédiatement d’exercer leur « droit de retrait » et de cesser le travail sans préavis, pour protester contre la montée de la violence quotidienne subie par les conducteurs des réseaux de transports publics, et demander davantage de mesures à la fois préventives, et punitives.

 

RERSauf que, comme chaque grève, celle-ci a eu des conséquences… que l’on n’imaginait pas : ligne de transports publics la plus fréquentée de toute l’Europe, la ligne A véhicule chaque jour plus d’un million de voyageurs. Alors, lorsqu’un mouvement social est annoncé, les dégâts sont plutôt limités, chacun prenant ses précautions pour ne passe retrouver otage de la grève. Mais lorsque, comme ce 29 janvier 2015, la manifestation de colère est spontanée, brutale et sans préavis, c’est une pagaille absolument monstrueuse qu’elle déclenche… et des dégâts parfois importants. Ainsi, ces photos qui ont fait le tour de France et même des médias étrangers : des cohues insensées dans les couloirs de correspondances, aux noeuds d’interconnexions stratégiques du réseau francilien : Saint-Lazare, Château de Vincennes, La Défense… Des usagers étouffés les uns contre les autres dans les escaliers, condamnés à attendre des heures de pouvoir monter dans un métro ou un bus. Des petits malins, marchand carrément à contre sens dans les escalators, ou directement sur les rampes de sécurité des tapis roulants. Des femmes enceintes au bord du malaise, des travailleurs en retard à des rendez-vous importants, et ces cinquante malheureux candidats à l’agrégation, arrivés après le début des épreuves et donc recalés…. Sans aucun recours, après des années de travail et de préparation, avec toutes les conséquences d’un tel report sur leur vie personnelle, professionnelle et financière.

 

suppressionsAlors, faut-il supprimer le droit de retrait spontané dans les transports publics ? Le rendre tout simplement illégal, pour que des milliers, des millions d’usagers cessent de subir malgré eux les conséquences de mouvements de grève relatifs à des causes qui leur sont totalement étrangères ? Certains élus montent d’ores et déjà au créneau pour dénoncer l’usage abusif du droit de retrait. Comme Valérie Pécresse, députée UMP des Yvelines, qui estime que « Le droit de retrait, c’est quand il y a un danger grave et immédiat personnel pour les conducteurs. Si aujourd’hui on utilise le droit de retrait à la place du droit de grève, et donc que l’on se passe de préavis, que l’on ne prévient personne, que l’on n’informe pas les voyageurs, que l’on ne met pas en place le service minimum, le droit de retrait devient une arme fatale, un arrêt sans préavis qui provoque une paralysie totalement insupportable pour l’ensemble des voyageurs ». Sur le net, les avis des internautes sont assez majoritairement favorables à la suppression du droit de retrait en France : « Le droit de retrait, c’est l’outil commode derrière lequel certains se planquent pour ne pas qualifier leur non travail de grève. Or, le droit de retrait a un caractère individuel de danger immédiat ; il n’est pas une définition collective et en aucun cas dans la durée, car une agression est un danger ponctuel imprévisible« , écrit ainsi « Gussaoc », dans un forum consacré au sujet. « Donc faisons en sorte que les coupables soient châtiés et les conducteurs protégés au mieux… mais, imaginez-vous les pompiers les soldats, les gendarmes faire valoir leur droit de retrait devant un potentiel danger immédiat ??? »

 

busEvidemment, la proposition de certains de supprimer le droit de retrait, ou de mieux le définir afin de le circonscrire à des circonstances particulièrement graves et exceptionnelles, fait bondir les autres : « Le droit de retrait est absolument imprescriptible, il faut le soutenir, et c’est dans l’intérêt de tous les usagers qu’il en soit ainsi. Respectez les chauffeur de la RATP ! C’est le moment de leur rendre hommage. Dès qu’il y a une agression, il faut arrêter, stopper ! », s’exclame de son côté le socialiste Gérard Filoche. « Il ne faut pas oublier que lorsque la sécurité d’un conducteur est mise à mal, c’est tout le train qu’il conduit qui est en danger« . Et il faut le reconnaître, l’impact du droit de retrait des conducteurs du RER A ce jeudi 29 janvier a été très remarqué, parce qu’il a engendré une galère monstrueuse pour des usagers extrêmement nombreux. Mais c’est très régulièrement que des agressions du même type surviennent, sans que le retentissement soit comparable. Ainsi, exactement une semaine auparavant, le mercredi 22 janvier 2015, un autre conducteur a été violemment agressé en gare d’Ermont (Val d’Oise) par un passager en infraction avec la loi interdisant de fumer dans les trains. Résultat : un violent coup de tête, une incisive cassée et un choc psychologique. Là aussi, il y a eu droit de retrait : pendant une journée entière, le trafic de la gare Saint-Lazare a été quasiment nul, avec 24 voies sur 27 en arrêt total de trafic, au grand dam de dizaines de milliers de voyageurs, comme toujours.

 

TorcyPour les syndicats de cheminots, « le phénomène n’est pas nouveau, et les cheminots ont toute légitimité d’exprimer ainsi leur indignation et leur inquiétude. De la même manière qu’ils ont parfaitement raison d’utiliser leur droit de retrait pour exiger des mesures de protection supplémentaires et appropriées de la part de leur entreprise, mais aussi des pouvoirs publics. Les agents d’exploitation encourent des risques de plus en plus grands dans le cadre de leur activité professionnelle, que ce soit sur les réseaux de chemins de fer nationaux ou au niveau des réseaux régionaux. D’après les statistiques, un conducteur, un contrôleur, un agent de gare ou de station, ne peut plus espérer faire son métier sans être, au moins une fois dans sa carrière (parfois plus), agressé physiquement, voire avec une arme. C’est évidemment inacceptable… Et ce n’est pas accepté ! Au-delà de toute polémique, le droit de retrait est inscrit, il faut le rappeler, en toutes lettres dans le Code du Travail. C’est une disposition légale ! ».

 

greveLe patron de la SNCF, Guillaume Pépy, a de son côté déjà exprimé sa position : il est favorable, plus que jamais, à une « redéfinition » du droit de grève : « Nous avons, avec les syndicats, un vrai travail à faire pour que le droit de retrait puisse évoluer, car d’un côté il faut tenir compte des sentiments (…), et les cheminots ont des tripes (…), et en même temps, il n’y a aucune raison de pénaliser des centaines de milliers de personnes (…). Il faudrait que ces mouvements d’émotion durent une heure tout au plus, symboliquement », a-t-il déclaré ce dimanche 1er février sur Europe 1. Le Ministre des Transports, Alain Vidalis, a pour sa part publié un communiqué de presse dans lequel, s’il « exprime sa solidarité avec le conducteur de RER agressé à Torcy », il regrette également que « l’interruption du trafic sur la ligne la plus chargée d’Europe ait pénalisé plus d’un million d’usagers en dehors des procédures appropriées et de l’intervention des organisations syndicales ». Cela ne « peut constituer la bonne réponse », a-t-il estimé, rappelant que la « nécessaire protection des salariés » doit aussi prendre en compte « le respect des usagers ».

 
 

Marie MEHAULT