Don du corps à la science : que deviennent vraiment ceux qui l’ont fait 12 novembre 2014 Société Marie MEHAULT Temps de lecture : 8 minutesChaque année en France, un peu plus de 2500 personnes font le choix de donner leur corps à la science. On connaît le principe général de cette démarche… mais que devient exactement la dépouille du défunt, après son décès ? Au-delà des réponses banales du corpus médical aux familles, du style « les corps sont utilisés pour l’enseignement et la recherche médicale », difficile d’avoir des renseignements plus précis. Pour avoir davantage de précisions, et pouvoir vous les communiquer, nous nous sommes penchés sur la question… en ce mois de Toussaint, c’est le moment non ? Car ce à quoi on pense peu, voire jamais, c’est que si le don de son corps à la science est une démarche personnelle du défunt, elle concerne quand même fatalement ses ayant droits, le veuf ou la veuve, les enfants, les parents. Or, des témoignages que l’on peut recueillir, ces proches sont souvent trop négligés, alors que c’est pour eux une souffrance, la plupart du temps, que de voir partir au bénéfice de la science les restes d’un être cher. « Mes deux parents ont donné leur corps à la science », raconte ainsi Catherine, 59 ans. « C’est mon père qui a convaincu ma mère de le faire. Il estimait qu’il devait bien cela à la médecine, à laquelle il était extrêmement reconnaissant de l’avoir soigné après un accident du travail qui aurait du le priver d’une jambe. J’ai toujours respecté leur altruisme, mais j’ai du mal à accepter que rien ne soit redonné à la famille, et que cette dernière n’ait rien à demander. C’est un manque abyssal de ne pas avoir de lieu sur lequel on puisse se recueillir, en dehors d’une stèle, dans certaines communes, dédiée à tous les anonymes qui ont fait don de leur corps à la science. Les associations qui s’occupent des familles sont aujourd’hui plus organisées, moins négligentes envers les familles, mais cela reste très difficile. Je m’accroche à l’idée que mes parents ont eu une mort utile, mais je ne ferai pas cela à mes propres enfants. J’ai trop souffert. Je veux avoir une sépulture, pas pour moi, mais pour eux. » En tout état de cause, pour qui fait le choix de donner son corps à la science, il est fondamental de bien préparer ses proches, d’en parler, beaucoup, sans avoir peur d’entrer dans les détails, même crus… car c’est cette précision et ce dialogue approfondi qui permettront d’accepter les choses et de faire le deuil, malgré tout. « Mon grand-père est décédé il y a 4 ans. Il avait, ainsi que sa femme, fait don de son corps à la science en 1975 et nous en étions tous informés. C’est vrai que la cérémonie de funérailles est un moment important pour les survivants, dans le processus de deuil, cependant nous savions que nos grands-parents avaient fait ce choix ensemble et dans la sérénité, et il était évident pour nous tous qu’en le respectant, nous nous mettions pour la dernière fois en accord avec nos grands-parents », témoigne Lana. Qui ajoute : « il nous a été précisé que nous n’étions pas obligés d’accomplir cette volonté et pouvions, si nous le souhaitions, faire enterrer ou incinérer notre grand-père, et j’ai trouvé cela presque indécent ». Alors sachez le : si l’on vous fait cette proposition, elle est illégale, il est interdit de faire fi de la volonté d’un défunt de donner son corps à la science. Les proches n’ont aucun droit de regard sur la démarche du don et ne peuvent pas la faire annuler. Seul le donateur a le droit de revenir sur sa décision. Dans ce cas, il doit le faire de son vivant, détruire sa carte et en informer l’établissement par écrit. Autre témoignage : celui de Claire et Agnès, qui, elles, ont perdu leur mère en mai 2014. Elle a fait don de son corps à la science. Les jumelles estiment avoir de la chance, dans leur douleur : car contrairement à 80% des familles, elles ont pu récupérer les cendres de leur maman, plus de quatre mois, tout de même, après son dernier souffle. « Pendant tout ce temps là, des mois et des mois, on se demande : entre quelles mains est maman, qu’est-ce qu’on lui fait ? Je me demandais même parfois si elle était vraiment morte ! », raconte Agnès. « C’est important d’avoir au moins une stèle ou une urne avec le nom, la date, pour pouvoir se recueillir et penser à elle », ajoute Claire. Quatre mois, c’est très long, car pendant ce temps en suspension, impossible de faire réellement son deuil. Alors, pour les familles qui ne récupèrent rien, c’est encore pire. L’idée de rendre au moins les cendres de ce qui n’a pas été utilisé pour la science fait son chemin. Mais cette initiative est encore rarissime : trop compliqué pour les structures et les écoles médicales qui ont récupéré le corps… d’autant que parfois, celui-ci peut avoir été disséqué en plusieurs parties, ensuite réparties entre différentes écoles ou différents hôpitaux et laboratoires de recherche : « Les corps arrivent entier, mais ce n’est pas toujours possible de les laisser repartir entiers, nous sommes parfois obligés de les morceler. Dans certains établissements qui font des cours d’anatomie, le corps est fragmenté, et les différentes pièces anatomiques vont partir au crématorium à des dates différentes, ce qui rend quasiment impossible de restituer les cendres aux familles », explique le directeur de l’une des plus grandes écoles de chirurgie de France. Dans la plupart des cas, les établissements receveurs du don demandent même aux ayants droit de contribuer aux frais de transport et de crémation du défunt, à hauteur de 800 euros en moyenne ! L’école de chirurgie de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) fait partie des rares institutions qui offrent à la fois la gratuité du don, et la possibilité, au cas par cas, de récupérer les cendres de la crémation. Pour atténuer un peu les angoisses des proches, rongés par l’incertitude de ce qu’à pu devenir le corps de la personne qu’ils ont aimée, il est donc fondamental de leur apporter tous les détails de la procédure, et de répondre à toutes leurs questions. Or, là encore, le tabou est encore vivace, et la loi du silence souvent la plus forte. Nous avons donc tenté de suivre le corps d’un donateur, après sa mort, deux jours plus tôt. Rendez-vous est pris à la morgue d’un hôpital de banlieue parisienne. L’homme, parti d’un infarctus l’avant-veille, est recouvert d’un drap blanc avant d’être installé sur un brancard, puis dans une fourgonnette. Il a fallu ces 48 heures pour effectuer toutes les vérifications nécessaires, et les démarches administratives qui s’imposent : car donner son corps est un acte extrêmement réglementé. Le donateur doit avoir exprimé personnellement sa volonté de son vivant, par écrit, sur un formulaire spécifique signé et daté qu’il se sera au préalable procuré auprès d’une faculté de médecine comportant un service de don du corps. Le donateur reçoit ensuite une carte officielle, qu’il doit toujours conserver avec lui. Si cela n’a pas été le cas, il est au minimum exigé que cette volonté ait été précisée devant un notaire, lors de la réalisation du testament du donateur. Les facultés de médecine et les établissements de santé peuvent toutefois refuser un corps : parmi les causes de refus par exemple : si la mort est due à un accident de la route, un suicide, ou toutes autres raisons susceptibles de poser un problème médico-légal. Ainsi, à la faculté de médecine de Marseille, on nous énumère les motifs de refus d’un corps, très précis : absence de la carte de donateur, bien sûr, autopsie déjà réalisée au préalable, prélèvement d’organes autres que les yeux déjà effectué (on ne peut donc pas être à la fois donneur d’organes et donateur à la science), décès consécutif à un accident par arme à feu, arme blanche, noyade, mutilation accidentelle, absence de certificat médical, non respect du délai après la mort. Retour dans notre fourgonnette : elle achemine le corps du défunt ayant voulu se consacrer à la science, jusqu’à un laboratoire d’anatomie, où il est embaumé selon une technique particulière. Le coordinateur de l’école de médecine à laquelle le corps a été offert a d’abord vérifié les papiers du donateur : « j’ai contrôlé le certificat de décès, l’accord du directeur d’établissement et du médecin légiste pour le transport avant mise en bière, la preuve de don et le certificat de non contagion. Pour cette personne tout est en règle ». Arrivée au laboratoire d’anatomie, une cinquantaine de minutes plus tard. Le thanatopracteur spécialisé diffuse une solution de conservation dans les artères et les veines pendant plusieurs heures, pour stopper la décomposition du corps et préserver la plasticité des tissus. « Cette injection de produits chimiques permet de conserver les corps pendant huit mois, c’est une technique tout à fait différente des soins classiques opérés sur les gens qui ont un délai d’inhumation de courte durée. » Ainsi conservés, les corps donnés à la science peuvent être acheminés jusqu’à une, ou plusieurs écoles de médecine. Ils vont désormais servir à former les étudiants en médecine : par exemple, permettre aux futurs chirurgiens de répéter sur ces corps morts les gestes qu’ils devront ensuite appliquer aux vivants. « Ce sont des gestes que nous devrons faire sans hésitation quand nous auront à nous occuper d’un patient, et ces corps représentent pour nous un outil d’étude merveilleux, incomparable avec ce que l’on nous propose aujourd’hui comme mannequin ou comme simulateur », explique un étudiant. Ici, on parle de « sujet », certainement pas de cadavre : les étudiants apprennent avant toute chose à respecter le corps sur lequel ils travaillent, jusque dans le soin apporté à la suture, afin que la cicatrice soit la plus « jolie » possible. Aucune incision n’est laissée béante. Le respect, et l’intégrité sont des notions à inculquer en priorité aux étudiants. Et l’équipe du laboratoire veille au grain. Gare à l’étudiant qui n’aura pas recousu une plaie. Sur ce point, les familles peuvent globalement être rassurées. Chaque école de chirurgie de France reçoit environ 130 corps, chaque année, qui permettent à environ un millier de futurs médecins de s’exercer à pratiquer. Mais cela va aussi permettre à la recherche de progresser : améliorer les techniques opératoires, étudier la génétique, ou encore les maladies graves (vous pouvez donner votre corps à la science si vous êtes atteint d’une maladie qui n’est pas contagieuse, cela permettra de l’étudier au plus près et éventuellement, d’essayer de nouveaux traitements). Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT