Rentrée universitaire et filières santé : le burn out des étudiants 17 septembre 2014 Santé Marie MEHAULT Temps de lecture : 5 minutesAvez-vous déjà essayé de taper « burn out étudiants » dans un moteur de recherche ? Ce que la machine vous propose en premier, c’est le « burn out des étudiants infirmiers » et le « burn out des étudiants en médecine ». Simple coïncidence ? Pas forcément : car ce sont, incontestablement, des filières estudiantines où l’on souffre, toutes les études le disent. Et si ce n’est pas nouveau, notamment parce que ce sont des filières où la sélection est drastique et impitoyable, mais aussi où les stages pratiques confrontent parfois les élèves à une réalité qu’ils n’imaginaient pas si dure, on peut en revanche affirmer que cela s’aggrave : l’actualité nous en a proposé un nouveau révélateur il y a quelques jours à peine, avec ce décès d’un patient, au sein du service d’oncologie de l’Institut Bergonié à Bordeaux, suite à l’injection par erreur d’un produit médicamenteux par une étudiante infirmière. Car au-delà de la simple erreur médicale et personnelle de cette jeune fille, se pose inévitablement la question de l’encadrement des étudiants infirmiers au sein des services de soins. Réduction permanente des moyens, budgets serrés au maximum, compression du personnel, extension des amplitudes horaires de chacun, recours aux intérimaires et mutualisation des services, fatigue générale et pénurie de bras pour faire face aux besoins des patients : les conditions de travail des équipes soignantes deviennent aujourd’hui des facteurs d’erreur, comme celle qui a conduit à ce drame. Déjà en difficulté pour prendre en charges leurs patients, les personnels hospitaliers n’ont plus ni assez de temps, ni assez d’énergie pour prendre correctement en charge la formation de leurs étudiants stagiaires. « Les actions politiques sont décevantes et ne font que détruire méthodiquement notre système de santé, que ce soit lors de la fermeture de services ou lors du regroupement d’établissements contre toute logique sanitaire, créant ainsi des usines à malades, corrélées à une diminution des effectifs », analyse ainsi Guillaume Gandoin, infirmier urgentiste au Smur, à l’Hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris. « La généralisation quasi idéologique de l’hospitalisation de jour ou ambulatoire réduit considérablement le temps patients-soignants, provoquant ainsi des erreurs de jugement du fait de l’obligation de rapidité dans la réalisation des soins… Comment envisager en plus d’encadrer et former correctement notre relève infirmière, alors que le quotidien est devenu si difficile ? La nouvelle réforme des études n’arrive pas à convaincre les actuels professionnels de santé, les terrains de stage sont de plus en plus sollicités pour apporter un maximum de connaissances aux étudiants en un minimum de temps et d’effectifs. La conséquence est la dégradation de l’enseignement de terrain avec des répercussions sur les futurs professionnels et les patients. Le métier d’infirmier est déjà peu attractif par les conditions salariales et la pénibilité (1 week-end sur deux) ; il le sera encore moins avec cette dégradation des conditions de travail ». Selon l’UNOF, l’Union Nationale des Omnipraticiens Français, la moitié des internes en médecine générale seraient également au bord du burn out. Sur la page Internet du syndicat, le témoignage de Baptiste, 28 ans, est édifiant : « J’ai choisi médecine parce que le côté scientifique m’intéressait, tout comme le fait d’être proche des gens, de pouvoir les aider. La première année c’était un gros investissement et beaucoup de sacrifices. En même temps, quand on choisi médecine, on sait dans quoi on se lance, enfin au moins pour la première année ! (…) Mes six premières années d’externat se sont très bien passées.(…) C’est au moment de l’internat que tout a basculé. (…) Je n’étais pas encore médecin mais je devais faire le même boulot, avec toutes les responsabilités et les horaires qui vont avec. 50 heures de travail par semaine, plus les gardes, plus des travaux de recherche, c’est beaucoup à gérer d’un coup. J’ai commencé en gynécologie** et je me suis retrouvé avec des cas compliqués sans avoir les outils, ni les connaissances. Je faisais comme je pouvais. (…) Au final, en tant qu’interne, on fait beaucoup de sacrifices mais on n’a pas de reconnaissance.(…) Un mercredi soir, j’étais resté à l’hôpital jusqu’à 22 heures. Le lendemain matin, je n’ai pas pu. Je me suis senti incapable de passer une journée de plus à l’hôpital. Ma copine est partie travailler avant moi. J’étais perdu. J’avais l’impression que je ne pouvais plus continuer… Et j’ai fait une tentative de suicide. Je me suis sectionné une artère du poignet ». Didier Truchot, auteur d’un rapport pour l’Union Régionale des Médecins libéraux, a fait remplir tout un questionnaire à plus de 650 étudiants en médecine, pour tenter de comprendre plus précisément les raisons de ce « craquage » de plus en plus fréquent chez cette population estudiantine. Ses conclusions sont sans appel : « les scores de burn out (épuisement émotionnel) tendent à s’accroître au cours des six premières années de médecine, (…) Les étudiantes sont significativement plus frappées par ce syndrome psychologique. » Pour autant, tous les étudiants épuisés ou déprimés ne sont pas susceptibles de vivre un burn out, loin s’en faut ?! D’après les spécialistes, les profils les plus à risque sont en fait ceux qui sont très perfectionnistes, qui ont un idéal extrêmement exigeant pour eux-mêmes, au point de s’investir au maximum dans leurs études, pour ressentir ensuite un sentiment d’échec car les résultats obtenus ne sont pas aussi bons qu’espéré. « Si le jeune reste dans sa logique d’idéal inaccessible, il risque de s’enfoncer dans une spirale négative et sent que plus rien ne va pour lui. Un état duquel il pourrait mettre un an à sortir, et encore, s’il accepte de se remettre en question et de se faire aider », explique Françoise Voglaire, psychologue dans un service d’aide aux étudiants. En juin 2014, une enquête réalisée par la Smerep, l’une des principales mutuelles de santé pour les étudiants, révélait qu’un étudiant sur 4 risquait un burn out ! Plus inquiétant encore : un étudiant sur 6 aurait des pensées suicidaires… D’après le site « Remede.org », plusieurs étudiants en médecine se suicident ou tentent de le faire chaque année, notamment en première année mais pas seulement. « Chez nous, il y a eu quatre suicides entre médecine et dentaire, toutes promos confondues, en une seule année », témoigne Margouya, étudiante. Une autre, étudiante de troisième année, raconte : « Moi et d’autres amis, on fonctionne aux antidépresseurs pour tenir le coup. » En fait, au-delà des filières santé, toutes les filières en France connaissent désormais le phénomène du burn out de l’étudiant. Dans une bien moindre proportion par rapport au monde professionnel, certes, mais de manière néanmoins croissante ces dernières années. Si les élèves des filières de santé sont confrontés à des difficultés particulières, liées aux spécificités du monde dans lequel ils évoluent, il existe bien d’autres problèmes plus généraux auxquels tous les étudiants, quel que soit le type de formation suivi, sont confrontés. Tout particulièrement depuis quelques années, avec l’aggravation de la crise économique : logements insalubres, difficultés financières, temps de trajets importants, manque de sommeil, stress… 68 % des jeunes interrogés disaient s’être sentis tristes ou déprimés au cours des 12 derniers mois sur une période d’au moins quinze jours. Il n’y a plus qu’à espérer que les grandes vacances d’été leur aient fait du bien… et à leur souhaiter une belle rentrée universitaire, en ce mois de septembre 2014. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT