Planning familial : une institution en danger ?

19 février 2014 Société Marie MEHAULT
Temps de lecture : 5 minutes

aideC’est une façade presque anonyme, un immeuble parmi les autres immeubles, dans cette rue en face de la gare, dans une ville moyenne du Nord de la France. Seule une discrète petite plaque informe les visiteurs que le planning familial, c’est ici. Une discrétion volontaire, pour ne pas attirer l’attention. Pour que celles qui viennent ici en secret n’aient pas peur de pousser la porte. La permanence ouvre à midi. Dans un quart d’heure. Les deux salariées du planning familial sont arrivées, les trois retraitées bénévoles aussi. Tout le monde a apporté son sandwich. C’est pic nic sur la petite table de la cuisine. Dans la bonne humeur.

 

droitPourtant, l’actualité ne réjouit personne, ici. Alors qu’en Espagne, le droit à l’avortement est sévèrement remis en question par un projet de loi adopté fin décembre 2013, alors qu’en France les manifestations se multiplient pour défendre les valeurs de la « famille traditionnelle », les féministes convaincues qui œuvrent dans les plannings familiaux sont atterrées par l’idée d’un retour en arrière, chez nous aussi. « C’est un droit qui a été conquis de haute lutte, mais qui n’est pas invulnérable », explique Bénédicte, la gynécologue de l’antenne. « En Europe, l’avortement est encore illégal à Malte et à Chypre, et en Pologne, en Espagne, au Luxembourg et en Irlande, il est toléré uniquement en cas de viol, inceste, mise en danger de la femme ou malformation du fœtus. Chez nous, il est autorisé sur demande jusqu’à 10 ou 12 semaines de grossesse en général. Mais avec tout ce qui se passe, tous ces gens qui réclament un retour aux valeurs puritaines, rien n’est à exclure. Ici, ça nous fait froid dans le dos. »

 

patientCar elles sont bien placées pour le savoir, ces cinq femmes qui passent plusieurs dizaines d’heures par mois dans ces six pièces en rez-de-chaussée : sans le planning familial, la vie de milliers de femmes en France aurait été bouleversée. Et pas forcément dans le bon sens. « Je pense à cette adolescente de treize ans, enceinte de son cousin de 21 ans qui l’a violée. Elle ne savait même pas que c’était un crime, nous l’avons aidée pour toutes ses démarches », raconte Françoise, une retraitée bénévole de longue date, ancienne puéricultrice à l’hôpital. « Je pense à cette jeune femme de 19 ans qui n’était pas mariée et allait se faire mettre dehors par ses parents très croyants. Elle avait dépassé le délai légal de 12 semaines en France pour une IVG. Nous l’avons aidée à trouver un endroit aux Pays-Bas, où l’avortement est légal jusqu’à 24 semaines. Je pense aux ravages provoqués par la chlamydia, une infection sexuellement transmissible mal connue et sans symptômes, qui peut entraîner des fausses couches chez la femme et une stérilité chez l’homme. Lors de nos réunions sur les MST, nous avons permis à plusieurs couples de se faire soigner et d’éviter le pire. Je pense à ces deux petits jeunes de 14 ans, qui sont venus main dans la main, pour qu’on prescrive la pilule à la demoiselle, parce qu’ils n’osaient pas se lancer sans cela. Toutes ces personnes auraient pu faire les mêmes démarches auprès de leur médecin traitant. Sauf qu’on sait très bien que si elles viennent chez nous, c’est parce qu’elles y trouvent quelque chose d’unique qui n’existe pas ailleurs : la confidentialité, l’indépendance par rapport au médecin de famille qui connaît les parents, la facilité à obtenir un rendez-vous dans les meilleurs délais, des consultations qui prennent le temps, où on peut parler, pour 7 euros maximum… »

 

consultationComme pour étayer ces affirmations, cet après-midi là au planning familial, la salle d’attente ne désemplit pas. Une étudiante pour qui « ça tombe mal », enceinte de 5 semaines, choisit l’IVG médicamenteuse, possible jusqu’à 7 semaines d’aménorrhée. Une autre attend simplement qu’on lui renouvelle son ordonnance. Une mère de famille nous confie qu’elle a déjà 5 enfants, qu’elle est enceinte du sixième et qu’elle n’en veut pas. Elle est venue en cachette de son mari, catholique très pratiquant pour qui l’avortement est inenvisageable. Dans le cabinet de consultation, elle se met à pleurer. Son secret est trop lourd, elle est heureuse d’en parler. Elle se sent prise en tenailles entre le mensonge et la culpabilité, et le rejet total, viscéral, d’une énième grossesse. Le médecin lui apporte un soutien manifestement bienvenu. Elle repart rassérénée. « Ici, on se sent en confiance, on n’est pas jugées, juste aidée », confie-t-elle avant de repartir, pressée, chercher ses enfants à l’école. « Nous sommes avant tout des militantes », confie Bénédicte, la gynécologue. « Se protéger, protéger les autres, faire le choix d’une contraception, réfléchir sur les inégalités hommes femmes dans la société… nous nous sommes tellement battues pour soutenir Simone Veil dans les années 70, nous ne voulons pas subir de reculs aujourd’hui sur ces thèmes », s’alarme Thérèse, retraitée bénévole depuis plus de 10 ans.

 

contraceptionPlus de la moitié des femmes qui demandent une IVG au planning familial le font à la suite d’un échec de contraception. Chez les jeunes filles mineures, le nombre de grossesses non désirées ne diminue pas. Et chez les mères de familles installées, aussi, on observe un certain nombre d’accidents de stérilet ou de grossesses non désirées en pleine séparation ou pendant une procédure de divorce. Autant de cas de figure où la jeune fille – la femme se retrouve seule, avec une décision difficile et compliquée à prendre, avec un urgent besoin de conseil, d’attention et de discrétion. Le planning familial a 57 ans, mais la mission reste ardue et la fréquentation des antennes toujours plus importante : chaque année, 550 000 personnes entrent en contact avec le Planning et ses 76 associations départementales réparties sur l’ensemble du territoire (y compris les DOM). 95 % des visiteuses sont des femmes… de plus en plus de mineures et de personnes en grande précarité.

 

soutienMais paradoxalement, depuis 2012, le Planning familial français est aussi en déficit. « Dans un contexte de crise économique majeure et de choix politiques de réduction des budgets alloués au médico-social au détriment des populations les plus éloignées de l’accès aux droits et aux soins, nous posons un constat alarmant. La précarité grandissante, qui touche plus particulièrement les jeunes et les femmes, a une forte incidence sur la fréquentation de plus en plus importante de nos centres et sur les problématiques sociales de plus en plus difficiles auxquelles sont confrontés les publics que nous accueillons. », expliquaient les responsables nationaux du Planning dans un communiqué de presse, demandant une revalorisation des financements. Dans certains centres comme à Blois, on parle même de situation « gravissime » : « Si le déficit de 63 000 € n’est pas comblé au printemps 2014, il faudra envisager de réduire l’activité du planning, voire de licencier tous les salariés pour ne travailler qu’avec des bénévoles » se désole Micheline Dupont, membre du conseil d’administration du planning familial du Loir-et-Cher. A titre d’exemple, entre 2012 et 2013, les budgets alloués aux antennes pour les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées ont diminué de moitié. Alors que dans le même temps, l’affluence des centres de planning familial a augmenté de 25%

 

 

Marie MEHAULT