Prothèses PIP : comment a-t-on pu en arriver là ? 16 décembre 2013 Santé Marie MEHAULT Temps de lecture : 4 minutes10 décembre 2013 : Jean-Claude Mas, le fondateur de la société PIP (Poly Implant Prothèse), implantée dans le Var, est condamné à 4 ans de prison ferme. Pendant des années, il a vendu des implants mammaires frauduleux, portés par près de 30 000 femmes en France. Remplis de gel de silicone irritant et destiné à un usage non médical, ces implants étaient beaucoup moins chers mais très dangereux en cas de rupture. Deux porteuses sont d’ailleurs mortes d’un cancer, avant le procès. L’entreprise allemande TÜV, chargée de contrôler et de certifier la fabrication des prothèses PIP a, elle aussi, été jugée « responsable » du scandale. Enfin, selon certaines sources, l’Agence de Sécurité du Médicament aurait à son tour tardé à réagir aux signalements de patientes victimes de rupture de prothèses. Comment, au XXIe siècle, est-il encore possible qu’un tel scandale sanitaire ait pu se produire ? Si un fabricant de produits destinés à la chirurgie a pu escroquer des dizaines de milliers de patientes pendant tout ce temps, si les certificateurs chargés des contrôles et les plus Hautes Instances de Sécurité pour la Santé publique se sont montrés tour à tour défaillants, doit-on encore leur faire confiance ? L’organe de certification TÜV, pour commencer : comment le géant allemand du contrôle qualité Technischer Überwachungs-Verein (TÜV), véritable institution en Allemagne, a-t-il pu passer ainsi à côté de sa mission ? Jeudi 14 novembre, TÜV a même été reconnue « responsable au civil » par le tribunal de commerce de Toulon. Ce dernier a estimé que l’entreprise avait « manqué à ses obligations de contrôle et de vigilance ». Mais les avocats des victimes qui se sont portées partie civile, vont même plus loin : selon eux, le scandale des prothèses n’aurait pas été possible sans les manquements de TÜV : « TÜV a seulement effectué des contrôles ponctuels et annoncés de longue date, chez PIP. Les prothèses n’ont pas été contrôlées, seule la conformité des dossiers a été vérifiée, mais pas la qualité de la fabrication sur place », plaide Maître Laurent Gaudon, avocat de victimes. « De plus, il y a 13 ans déjà, la Food and Drug Administration américaine avait effectué une inspection surprise dans les locaux de PIP en France, ce qui l’avait amenée à établir une liste d’alerte des anomalies constatées sur le contrôle qualité des prothèses. Cela avait même conduit à l’interdiction des prothèses PIP sur le sol des Etats-Unis ! » Première alerte donc, à laquelle les Autorités Sanitaires et les Organismes de Contrôle n’ont pas été sensibles : l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament aurait pu commencer à ouvrir l’œil et à sévir dès les années 2000-2001. Mais elle ne l’a pas fait. Selon un document interne, dévoilé par Mediapart, l’Agence a ensuite raté une seconde occasion de réagir, en 2007 et 2008, pour interrompre la vente des prothèses mammaires PIP. Selon ce rapport, saisi lors d’une perquisition en avril 2012 sur ordre de la juge d’Instruction, l’ANSM aurait mis deux ans avant de commencer à s’inquiéter des signalements qui lui étaient transmis, concernant des ruptures d’implants et des fuites de silicone ! Alertée dès 2006, l’Agence n’a retirés les produits PIP du marché qu’en 2010… Et la recommandation de retrait préventif n’est intervenue qu’en 2011 ! On peut dès lors estimer qu’un tiers au moins des porteuses auraient pu éviter d’avoir affaire à PIP. Pour les associations de femmes victimes, comme le Mouvement de Défense des Femmes Porteuses d’Implants et de Prothèses (MDFPIP), il y a donc eu de graves lacunes, de tout le système, et à chacun des maillons. Jusqu’aux chirurgiens, dont elles ont regretté l’absence au procès, car eux aussi « ont engagé leur responsabilité dans le choix de poser des prothèses PIP à moindre coût ». Et même si les autorités sanitaires comme les professionnels de santé ont commencé à tirer des leçons de l’affaire PIP (par exemple, un nouveau dispositif de la Haute Autorité de Santé interdit désormais à un hôpital d’acheter directement des prothèses à l’industriel le plus offrant), la route est encore longue : « Il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour renforcer la sécurité sans réduire à néant les possibilités d’innover et de développer les dispositifs implantables de demain », estimait ainsi dans la presse le Professeur Jean-Michel Dubernard, en charge du dossier à la HAS. Commercialisées pour la première fois en 1995, les prothèses PIP ont été implantées à des femmes dans plus de 60 pays. Au total, on ignore le nombre de victimes dans le monde, mais PIP, vite devenu le numéro 3 des producteurs de prothèses, en vendait plus de 100 000 chaque année. Chili, Brésil, Vénézuela, Colombie, Argentine, Pays-Bas, Suisse, Angleterre, Israël, Australie, Iran, Turquie, Thaïlande, Syrie, Japon, Chine… Un escroc, beaucoup de négligences, trop peu de vigilance : voilà, semble-t-il, la recette d’un scandale sanitaire parti de France, et qui retentit aujourd’hui dans le monde entier. Un scandale, dont on n’a pas fini de parler. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT