DRH et employeurs : comment expliquer la réforme des retraites à vos salariés

10 janvier 2020 Sourcing 0 Comments Marie MEHAULT
Temps de lecture : 9 minutes

C’est donc désormais acté : le projet de réforme des retraites est enfin connu, en tout cas dans ses grandes lignes, puisqu’un texte transitoire a été communiqué au Conseil d’Etat et aux caisses de sécurité Sociales hier soir, jeudi 9 janvier 2020. L’occasion, pour les employeurs et les Responsables des Ressources Humaines, de mieux se familiariser avec les changements prévisibles dès cette année et pour les années qui viennent, car il faudra expliquer, préparer les salariés, et faire preuve de pédagogie sur un sujet ultra sensible et dont les conséquences seront différentes pour chaque salarié en fonction de son âge, de sa date d’entrée dans la vie active, de sa catégorie socioprofessionnelle et de son métier en particulier (pénibilité, horaires de nuit…). En tout état de cause, voici les principales clés d’explications à fournir à vos salariés, pour mieux leur faire comprendre ce que le projet de réforme des retraites du gouvernement actuel pourrait changer pour eux : ouvrier, agent administratif, cadre intermédiaire, cadre supérieur… votre rôle de DRH, si la réforme passe, sera aussi de les préparer aux changements et de savoir faire preuve de pédagogie.

Face aux syndicats, savoir expliquer les positions des organisations patronales

L’âge pivot permettrait de lutter contre la pénurie de main d’oeuvre dans certains secteurs

La plupart des grands syndicats du patronat n’a rien contre le projet de réforme des retraites du gouvernement, car c’est un projet qui, pour beaucoup, permettrait de garder un certain nombre de salariés plus longtemps et donc, de palier à la pénurie de main d’œuvre qui touche les grands secteurs de l’économie française comme les transports, la logistique, les métiers du portuaire, etc….  Un soutien, soumis toutefois à un certain nombre de points sur lesquels les représentants des patrons français, dans les grands groupes comme dans les plus petites entreprises, seront vigilants : parmi les conditions majeures d’une adhésion des recruteurs et des employeurs au gouvernement, l’équilibre économique du nouveau système et le fameux « âge pivot » pour déterminer un départ à taux plein à 64 ans. Des arguments, qu’il va falloir expliquer à des syndicats et des représentants du personnel souvent vent debout contre ces deux principes, au nom de la défense des acquis sociaux et du maintien des droits des travailleurs.

Geoffroy Roux de Bézieux président du Medef

Le Medef a fait le choix d’être aux côtés du gouvernement dans la promotion de son projet de  réforme des retraites, à la condition impérative d’un « objectif d’équilibre financier déconnecté d’une hausse des cotisations patronales », selon les déclarations répétées de Geoffroy Roux de Bézieux, le président de l’organisation. Autre représentant du patronat français, François Asselin pour la CPME (Confédération Patronale des Petites et Moyennes Entreprises), même insistance sur « la nécessité de ne pas faire miroiter des choses qu’on ne pourra pas financer » et d’aboutir à un équilibre financier du nouveau système. « On ne veut pas de mauvaises surprises au niveau des assiettes de cotisation, il n’est pas question d’augmenter les cotisations », précisait dès le début des concertations à Matignon le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), Alain Griset, qui représente les patrons de l’artisanat, du commerce et les professions libérales.

Autre grand point d’achoppement dans la société française entre les « pour » et les « contre » cette réforme des retraites proposée par Edouard Philippe : le fameux « âge pivot », celui qui détermine le taux plein de votre pension au moment de prendre votre retraite. Fixé à 64 ans par les penseurs du projet, il représente la « barrière » du taux plein : vous partez avant, vous subissez une décote du montant de votre pension. Vous partez après, vous bénéficiez d’un bonus. L’écart variant du -5 au +5%. Le Medef est favorable à cet âge pivot, il aurait même préféré que 64 ans devienne le nouvel âge légal de départ en retraite, plutôt que de maintenir ce dernier à 62 ans. Mais, à défaut, l’âge pivot représente selon Geoffroy Roux de Bézieux une incitation importante à un maintient plus tardif dans le monde actif. Selon lui, retarder les départs à la retraite est une solution intéressante pour permettre au nouveau système d’atteindre dès le départ, ou en tout cas rapidement, l’équilibre financier. A condition, insiste le « patron des patrons », que l’Etat mette en place un grand plan d’amélioration du taux d’emploi des 60-65 ans : selon le Medef, le recul de l’âge légal de départ en retraite en France, quand il était passé de 60 à 62 ans, avait déjà été très favorable à l’emploi des seniors et avait porté les statistiques hexagonales au-delà de la moyenne dans l’Union Européenne. (lire aussi notre article https://www.jobology.fr/blog/reforme-des-retraites-comment-mieux-accompagner-lemploi-des-plus-de-50-ans/). Mais tous les syndicats du patronat ne sont pas aussi favorables à une incitation au départ le plus tard possible : l’U2P défend ainsi un certain  « maintien du système des carrières longues permettant à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir entre 60 et 62 ans ».

Le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), Alain Griset

L’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) explique, de son côté, que la fusion de tous les régimes lui  semble une bonne chose, à condition de conserver un « dispositif pénibilité et carrière longue », selon les dernières interventions devant la presse de Hugues Vidor, son président. La CPME, elle, propose un régime universel aménagé en fonction des cas particuliers, avec un plafond de « Sécurité sociale » de 40 500 euros par an – 3377 euros par mois -, puis le maintien d’au moins 3 régimes complémentaires en remplacement des 42 régimes actuels : un régime pour les indépendants, un pour les libéraux et un pour les salariés, qu’ils soient d’ailleurs fonctionnaires ou dans le privé.  Autant de propositions qui n’ont pas toutes été retenues dans le texte transitoire tel que soumis ce jeudi par l’exécutif.

2. Expliquer la réforme des retraites à vos salariés et à vos futures recrues, et les préparer au changement catégorie par catégorie.

D’abord, le constat est le même pour tous : c’est une réforme qui va bouleverser beaucoup d’habitudes ; et en premier lieu, la fin des 42 régimes de retraite différents jusqu’alors pratiqués en France. Plus de caisses complémentaires non plus : ainsi, le fonds de l’Agirc-Arrco, qui dépasse les 71 milliards d’euros de réserve, pourrait être utilisé pour rééquilibrer les régimes déficitaires…. Evidemment, les professions concernées dénoncent un « racket d’Etat » et une « spoliation », et refusent catégoriquement l’hypothèse. Pour l’heure, l’exécutif ne dit pas ce que deviendra ce trésor de guerre.  Voilà, pour résumer, le projet tel que défini par le gouvernement.

« Le système universel de retraite comprendra un seul étage, sans distinction d’un régime de base et d’un régime complémentaire, qui sera obligatoire, par répartition et en points »

Projet de réforme du Gouvernement E.Philippe

Dans la même logique, le décompte des « trimestres travaillés », c’est fini ! Ce qui avantagera légèrement les femmes (parties parfois plusieurs fois sur de longues durées pendant leur carrière pour maternité), les anciens chômeurs, les salariés ayant vécu de longues périodes de maladie. Plus de trimestre « gratuits » non plus, dans le premier et le dernier cas de figure : tout sera simplifié. Il n’y aura plus, non plus, de taux de cotisations variables et multiples, mais un seul taux applicable à tous. Tout comme ce que l’on appelle « l’assiette », c’est-à-dire la partie des rémunérations sur laquelle vont être prélevées vos cotisations sociales pour la retraite.

Comme dit plus haut, tout cela disparaît donc au profit d’un système dit « universel », c’est à dire valable pour tous les Français, et toutes les professions ; système qui s’appuie sur un ensemble de « points » calculés sur une base de cotisation unique : 5,50€ de retraite pour 100€ cotisés ; un taux de cotisations de 28,12% appliqué dès le premier euro de revenu et jusqu’à 3 fois le plafond de revenu de la Sécurité Sociale, ce que l’on appelle le « Pass », et qui équivaut à 40 000 euros brut (donc 3 fois le plafond = environ 120 000 euros bruts annuels). Enfin, on l’a vu en début d’article : si l’âge légal de 62 ans n’est pas modifié dans la loi, la réforme introduit donc un « âge pivot » :on pourra légalement s’arrêter à 62 ans, mais avec dans ce cas un malus de 5% sur la pension de retraite, qui n’atteindra son taux plein que pour ceux qui travaillent jusqu’à 64 ans au moins, voire sera « bonifiée » de 5% pour ceux qui travaillent au-delà de 64 ans.

Voilà pour les généralités, à expliquer à vos salariés. Ensuite, pour chacune et chacun d’entre eux, il faudra expliquer en quoi cette réforme va les impacter en particulier, en positif ou en négatif : c’est-à-dire, calculer avec eux quel sera ce que l’on appelle leur « taux de remplacement » : en clair, le pourcentage du dernier salaire qu’ils pourront toucher à la retraite.

3. Qui sera gagnant, qui sera perdant ?

Les cadres sont à la fois les grands gagnants et les grands perdants de la réforme des retraites telle que la conçoit le premier ministre pour l’instant. Gagnants, car leur taux plein automatique était jusqu’à présent établi à l’âge de 67 ans, y compris pour les cadres n’ayant pas suffisamment travaillé pour avoir le nombre nécessaire de trimestres. Avec un taux plein qui deviendrait universel et passerait à 64 ans, les cadres gagnent 3 années en moyenne et devraient donc globalement pouvoir partir en retraite plus tôt, dès 64 ans et avant 67 ans, ce qui est avantageux pour la majorité des cadres français : leur durée d’études est globalement très longue, d’où un démarrage tardif dans la vie active et donc, un départ tardif à la retraite. Pour le coup, l’âge pivot à 64 ans est donc une très bonne nouvelle pour cette catégorie de travailleurs, qui bénéficiera en plus d’un bonus de +5% après 64 ans si le choix est fait de continuer à travailler. Evidemment, dans le détail, il faudra affiner les projections en faveur de ce qui sera retenu – ou pas- au niveau de la valeur du point, de la conversion des trimestres cotisés en nombre de points, et du pourcentage définitif du bonus-malus pour juger de l’intérêt du nouveau système. Tout ceci devrait se faire dans un second temps et par ordonnances.

Toujours pour les cadres et les managers, ce système par point reste intéressant même s’il n’est plus calculé sur les 25 meilleures années de salaire mais sur l’ensemble de la carrière : certes, le taux de remplacement des cadres dirigeants par exemples, à hauts revenus, va plonger de 50 à 25%… . Mais leurs cotisations pendant toute leur vie active seront beaucoup moins élevées aussi, leur faisant gagner parfois plusieurs milliers d’euros mensuels ! A eux, ensuite, de prévoir de mettre ces économies de côté pour le temps de la retraite : une sorte d’incitation déguisée à la capitalisation, finalement.  Puisque selon les calculs de Jean-Paul Delevoye, l’ex Haut Commissaire aux Retraites, lorsqu’il rédigeait son projet, toutes ces  cotisations qui disparaissent du système par répartition (environ 4% de la masse des revenus d’activité, tout de même, selon le rapport rendu à l’automne 2019 à Edouard Philippe), devraient logiquement être réinjectées par les Français concernés dans des PER, des Plans d’Epargne Retraite, dont la nouvelle formule, bien plus avantageuse pour l’épargnant, vient d’entrer en vigueur au 1er janvier (lire aussi notre article).

En revanche, les managers et les patrons à très haut niveau de revenus risquent, eux, de perdre beaucoup dans la réforme, qui introduit la « cotisation de solidarité » : en clair, une cotisation payée par tout le monde, et qui passera avec la réforme de 2,3% des revenus à 2,81% des revenus : mieux on gagne sa vie, plus ce pourcentage représente des sommes importantes ; c’est d’ailleurs l’une des pierres d’achoppement entre le projet du gouvernement et le principal syndicat de cadres en France, la CFE-CGC : car de surcroit, une fois franchi le seuil des 3 plafonds Sécurité Sociale (les 120 000 euros brut par an évoqués plus haut), les assurés à très hauts revenus ne pourront plus cotiser pour leur propre retraite, alors qu’ils continueront à verser les 2,81% de cotisation solidarité sur les sommes au-delà du plafond. Pour faire simple, ils paieront la cotisation solidarité sur l’ensemble de leurs revenus, alors qu’ils ne pourront cotiser que sur 120 000€ maximum par an. Une perte sèche par rapport au système actuel, qui permet de cotiser sur l’ensemble des revenus perçus, jusqu’à 8 fois le plafond de la Sécurité Sociale (324 000 € brut annuels environ), tout en payant une cotisation solidarité moins élevée… 

Les cotisations s’appliqueront sur les primes… une meilleure retraite mais plus de charges pour les routiers

Pour les salariés qui vivent beaucoup grâce aux primes, les chauffeurs routiers par exemple, attention : là aussi ils sont à la fois gagnants et perdants avec cette réforme. Car désormais, les primes seront soumises à cotisations…. Ce qui signifie une meilleure pension une fois l’âge de la retraite arrivé, mais pendant la vie active, des cotisations en nette augmentation, jusqu’à plus de 200 euros par mois pour ceux qui cumulent ce type de rémunération ! Même logique pour les travailleurs libéraux, qui vivront mieux une fois retraités, mais perdront en pouvoir d’achat pendant leur vie active.

Ceux qui vont perdre avec la réforme ? Vos salariés à carrière longue et régulière, qui peuvent pour le moment partir dès 62 ans, et s’ils partent plus tard, profiter d’une surcote…. Perdue, entre 62 et 64 ans, avec la mise en place de l’âge pivot, et qui se transforme même en décote. Pour les employés désireux de partir entre 62 et 64 ans, cette surcote transformée en décote, s’appliquant jusqu’à la fin de vie, représente entre 5 et 30 points en valeur absolue de pension de retraite ! Or, ce sont souvent les salariés les moins diplômés, ayant commencé à travailler très jeunes, dans des métiers à forte pénibilité et faibles revenus, qui touchent donc déjà les plus petites retraites, et qui gagneront encore moins avec le nouveau système.

Du travail de lissage, de préparation et de transition fondamental en perspective, pour vous, patrons et DRH, afin de mettre en place progressivement des ajustements de rémunérations tenant compte de ces pertes de revenus pour vos salariés concernés, afin d’en compenser au maximum les effets une fois atteint l’âge de la retraite à taux plein.

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Marie MEHAULT