Les transports routiers dans le collimateur de Ségolène Royal

21 janvier 2016 Transport 3 Comments Marie MEHAULT
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7C’est un communiqué de presse qui est passé presque inaperçu : ce lundi 18 janvier 2016 au soir, la Ministre de l’Ecologie et des Transports, Ségolène Royal, l’a annoncé sans fioritures : il faut impérativement réduire le transport routier en France. L’argument ? « Le secteur des transports représente en 2014 près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, dont 95 % pour le transport routier. Le transport routier de marchandises contribue pour environ 27 % des émissions du secteur, soit 8 % du total des émissions de gaz à effet de serre ». En clair : le transport routier est, dans le secteur des transports, le plus gros pollueur de l’Hexagone… ce que l’on savait déjà. Mais désormais, la ministre passe à l’offensive : elle veut « accompagner les professionnels du transport de marchandises vers un modèle économique compétitif ». Et donc, favoriser le multimodal, mais aussi pénaliser le routier pur et dur.

 

4La carotte tendue aux professionnels du transport routier, est bien sûr financière : une enveloppe de 10 millions d’euros par an, dédiée aux opérateurs de transport combiné, principalement dans le ferroviaire (15 opérateurs seront subventionnés en 2016), dans le fluvial (13 opérateurs) et dans le maritime (1 opérateur). Objectif : peser sur les prix du multimodal à la baisse, et ainsi, influencer les choix des décideurs logistiques en les incitant à préférer le recours au chemin de fer ou aux voies d’eau, pour toutes les distances moyennes ou importantes. Et faire en sorte, du coup, que le transport par la route devienne minoritaire et accessoire, et ne soit plus réservé qu’aux temps de trajets courts et très courts. Ce que Madame Royal nomme les « parcours d’approche » : « le transport combiné dans son ensemble contribue efficacement à l’objectif de la politique des transports en offrant des solutions plus sobres en énergie et plus soutenables aux besoins logistiques des entreprises sur les principaux axes de trafics », a ainsi déclaré la Ministre. Les 10 millions d’euros seront débloqués auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui gère le Fonds de Financement de la Transition Energétique, avec un budget de 750 millions d’euros. Et cette enveloppe sera débloquée chaque année, pendant 3 ans, pour un total de 30 millions d’euros entre 2015 et 2017.

 

5Une transition énergétique nécessaire, certes, mais ces 10 millions d’euros par an et ce laps de temps de seulement 3 ans pour permettre à l’ensemble des professionnels du transport de s’adapter, sera-ce suffisant ? Beaucoup, au sein du secteur, sont dubitatifs. Voire carrément sceptiques : « pour économiser 500 000 tonnes de CO², il faut réussir à mettre sur le rail, la mer ou les fleuves, l’équivalent de 880 000 poids lourds par an, ce qui n’est pas rien. Les infrastructures en place ont-elles les moyens d’accueillir le double ou le triple du volume qu’elles traitent actuellement ? Pour l’instant, il faut savoir que le rail ne représente que 10% des volumes transportés, avec déjà pas mal de difficultés, de retards, d’avaries, de pertes ou de dommages », explique un adhérent de la Fédération Nationale des Usagers du Transport (FNAUT). « La généralisation du fractionnement des lots et de la gestion en flux tendus, qui correspondent à deux grandes tendances de la logistique de ce début du 21eme siècle, ont contribué à favoriser le développement du transport routier à vitesse grand V ! Si le multimodal ne se développe pas aussi vite qu’on aurait pu le penser, c’est précisément parce qu’il n’a pas encore atteint les niveaux de souplesse et d’adaptabilité du transport routier en termes de vitesse, de gain de temps, de respect des horaires, de flexibilité, d’activité nocturne, réfrigérée, etc… », analyse-t-on chez Geodis Global Solutions. « Le transport routier conserve l’avantage incontestable de sa précision de livraison, lors du dernier kilomètre ».

 

9Car les préoccupations écologiques ne sont pas nouvelles, et malgré cela, le transport combiné rail-route n’est jamais réellement parvenu à décoller, à prendre l’essor que d’aucuns lui prédisaient. Contraintes sociales, juridiques et techniques, ou encore politiques : le combiné rail-route a toujours rencontré des obstacles multiples, tout en posant aux acteurs du transports des problèmes importants d’interopérabilité entre les différents modes, mais aussi de cheminement de l’information et de facilité de suivi, à cause du trop grand nombre d’acteurs présents le long de la chaîne et de l’inadaptation des systèmes d’information existants. Le rail, enfin, souffre de plus en plus d’infrastructures inadaptées, ou vieillissantes.

 

6Par ailleurs, le transport combiné est intéressant pour certains types de produits (matières dangereuses, volumineuses, vrac, marchandises dites pondéreuses, très volumineuses mais à faible valeur, comme le bois ou le minerais), moins pour d’autres. Il est adapté à certains types de flux (prévisibles, sur de la longue distance, avec une logique d’aller-retour…), moins à d’autres. Il était intéressant lorsque le coût des carburants était élevé, il l’est nettement moins aujourd’hui avec un prix du baril historiquement bas. D’autre part, il subsiste une réticence importante des entreprises de transport envers le ferroviaire, car les trains de voyageurs sont systématiquement prioritaires sur les axes, mais aussi parce que les cheminots font plus souvent grève que les chauffeurs routiers ! Dans le monde économique actuel, et en particulier dans le secteur de la logistique et des transports, aujourd’hui, le moindre retard est infiniment plus préjudiciables que par le passé, dans la mesure où chacun agit selon une optique obligatoire de baisse des coûts sur toute la chaîne logistique, pour pouvoir tenir la corde, dans un environnement hyper concurrentiel. Par ailleurs, avec la crise, les entreprises clientes des transporteurs réduisent de plus en plus leurs stocks… Elles ont donc besoin de pouvoir répondre vite à un sursaut de la demande, et ne peuvent pas se permettre de recevoir leurs marchandises en retard. Pour finir, en Europe, les gabarits des trains et des contenants, l’écartement des rails… diffèrent d’un pays à l’autre. Ce qui ne facilite pas le recours au multimodal.

 

12Pourtant, les professionnels du transport routier risquent de ne guère avoir le choix : « Le développement de modes alternatifs à la route constitue un enjeu majeur pour le transport de marchandises en Europe, tout comme pour les entreprises qui y auront recours », explique un proche conseiller de Ségolène Royal. « Les transports ferroviaire, fluvial et maritime, sont donc amenés à connaître un nouvel essor dans les prochaines années, et toutes les combinaisons entre les différents modes seront possibles. Une évolution des différents moyens de transport de marchandises est devenue impérative, car depuis quelques décennies, le transport routier connaît une croissance telle que, certaines années, elle est supérieure à celle du PIB ! Pourtant, une inversion de la tendance est indispensable, car le tout routier est, malgré cette croissance, de plus en plus à la peine : la concurrence atteint des sommets, et ne permet aux entreprises, beaucoup trop nombreuses sur le marché, que de vivoter. La guerre des prix est si rude qu’il devient impossible de maintenir un haut niveau de qualité face à la saturation progressive des réseaux autoroutiers et routiers, et à l’importance croissante des échanges au sein de l’Union Européenne ».

 

 

Marie MEHAULT