Camions : bientôt la fin du diesel ?

24 octobre 2016 Transport 1 Comment Marie MEHAULT
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6C’est une décision majeure qui vient d’être prise ce vendredi 21 octobre 2016 : les députés français ont voté quasiment à l’unanimité l’extension progressive à l’essence des avantages fiscaux du diesel, une petite révolution en France, où la suprématie du diesel est incontestée depuis des dizaines d’années. En clair, les entreprises qui feront le choix de faire rouler leurs salariés à l’essence auront, dans quelques années, les mêmes possibilités de déduire 80% de la TVA, grâce à cet amendement au projet de budget 2017. La transition se fera en douceur, en 5 ans, afin de tenir compte des réalités industrielles des constructeurs qui devront adapter leurs lignes et leurs méthodes de production. Et, autre petite révolution : dans ces conditions là (5 années pour la transition), les constructeurs en question sont d’accord, en particulier PSA Peugeot Citroën, champion du diesel, pour s’adapter à la nouvelle demande qui ne manquera pas d’émerger.

 

7En effet, il faut savoir qu’en France, un véhicule vendu sur deux est un véhicule d’entreprise. Depuis 40 ans en France, le diesel c’est le carburant des véhicules de fonction, des bus et des camions, qui roulent au gazole parce qu’il est beaucoup moins cher et surtout moins taxé que l’essence. Résultat : quasiment aucune entreprise n’achète pour son parc de véhicules des moteurs essence, une donne qui pourrait changer d’ici 2021 : car l’inégalité de traitement entre les deux types de motorisation sera alors révolue. Première étape de ce rééquilibrage dès 2017, avec une déductibilité de 10% sur l’essence. Puis 20% en 2018, 40% en 2019 et 60% en 2020. Pour atteindre les 80% en 2021 et même 100% pour les véhicules utilitaires légers. De quoi modifier en profondeur les habitudes des professionnels du transport.

 

4« Le diesel, c’est la résultante de la crise pétrolière dans les années 1970. Les constructeurs comprennent alors qu’il y a là un véritable créneau commercial à saisir », explique Jean-Louis Loubet, universitaire spécialiste de l’automobile. « Les constructeurs comprennent que le diesel va séduire à la fois les classes moyennes et les professionnels du transport, qui souffrent économiquement à ce moment là. Le diesel s’est envolé grâce à la poussée d’une demande des consommateurs qui ne voulaient pas payer leur carburant trop cher. Aujourd’hui, ce qui a changé, c’est que le diesel n’est plus si avantageux, et surtout que son image est ternie. La pollution est devenue une vraie préoccupation contemporaine, et le scandale de Volkswagen a révélé la réalité des émissions polluantes, les gouvernements ne peuvent plus faire comme s’ils l’ignoraient, même si les lobbies restent extrêmement puissants. Aujourd’hui en France, les deux tiers du parc automobile roulent encore au gazole, mais la crise de confiance est là, et les ventes de diesel n’ont jamais autant baissé : 52,7% des immatriculations françaises (véhicules neufs) depuis le début de l’année,  contre 63,9% il y a deux ans».

 

8-utilitaireDans le secteur des transports, c’est surtout la messagerie express qui pourrait tirer profit du vote parlementaire du 21 octobre 2016.  En logistique, le transport dit « du dernier kilomètre » s’effectue la plupart du temps en camionnette ou en fourgon. Des trajets courts mais extrêmement nombreux (ces petits véhicules roulent entre 10 et 12 heures par jour). Jusqu’à présent, le diesel présentait donc un avantage fiscal et financier évident. Mais d’ici 5 ans, ce ne sera plus forcément le cas puisque, de manière générale, les véhicules diesel coûtent plus cher à entretenir (pièces de rechange très onéreuses) que les véhicules essence. Si la fiscalité redevient neutre entre ces deux carburants, il y a fort à parier que tout le secteur du transport et de la logistique utilisera davantage de véhicules essence, redevenus globalement moins chers. Surtout, l’essence offre une meilleure réactivité au démarrage, ce qui, pour des trajets du dernier kilomètre, avec des livraisons – donc stop et redémarrage – toutes les 6 minutes en moyenne, est intéressant.

 

3En revanche, pour l’instant, rien ne devrait trop bouger pour les poids-lourds, dont le gazole était le carburant dès l’origine, en raison de leur kilométrage et de leur consommation excessivement élevés. En matière de transport, pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes, un moteur diesel reste plus performant à poids égal de carburant, et les risques explosifs sont également moins importants. La réactivité au démarrage n’est pas une priorité pour les transporteurs de gros qui font de longs trajets sans pause. Cela posé, Américains, Canadiens et Japonais ont un marché des véhicules de transport à motorisation essence, dans la mesure où dans ces Etats, le diesel est davantage taxé que l’essence. D’autre part, certains moteurs essence actuels, très innovants, possèdent des caractéristiques semblables au diesel, avec faibles régimes moteur, couple important à bas régime et surtout fortes charges tolérées… Ce qui n’exclut pas que même dans le transport de charges importantes l’essence finisse un jour par devenir une alternative sérieuse au diesel, au regard de normes antipollution de plus en plus sévères. Pour l’heure, le diesel reste moins gourmand pour ce type d’usage.

 

1-camion-gnvSurtout, dans l’hypothèse d’une révolution verte du transport poids-lourds, ce n’est pas la piste des moteurs essence qui est privilégiée, mais plutôt l’électrique pour le très long terme (voir notre article : Transports professionnels : à quand la révolution électrique ?) et surtout, le gaz naturel : « le gaz naturel véhicule (GNV) est en train de devenir une alternative crédible au gazole et pourrait supplanter le diesel d’ici moins de 35 ans », analyse-t-on chez GDF Suez, qui possède une filiale dédiée, GNvert. Chez Iveco, marque du groupe CNH Industrial, le carnet de commandes des modèles GNV représente désormais la moitié des immatriculations annuelles : « ces véhicules 2-gnvsont aussi bien documentés et fabriqués que les diesels depuis longtemps, et sur le segment du transport de marchandises, le GNV pourrait représenter jusqu’à un quart des ventes poids lourd en 2020. Le GNV présente des avantages indéniables : une pollution diminuée de 95% pour les particules, de 85% pour les NO et de 10% pour le CO ; d’autre part, il amène de l’autonomie supplémentaire, 400 à 800 kilomètres d’autonomie, ce qui veut dire que cela ouvre le secteur à plus de missions. Enfin, quand il s’agit de biométhane, les entreprises roulent avec des déchets agricoles ce qui leur permet d’être neutres en carbone. Cela veut dire qu’en France on peut faire du zéro carbone avec 700 kilomètres d’autonomie et sans dépendre du nucléaire ». Reste un obstacle de taille : le prix des véhicules, supérieur de 25 à 35% par rapport à des poids-lourds diesel ; et surtout, l’installation de stations, extrêmement coûteuses (1 million d’euros et un an de mise en place pour une station) pour les constructeurs.

 

 

Marie MEHAULT